« La Corse ne souffre que d’un mal : celui de n’être pas elle. » Xavier Paoli conclut ainsi son propos introductif dans A Cispra, le premier manifeste corse pour l’Autonomie, paru en 1914. Il établit l’objectif final de sa proposition autonomiste : sauver l’individualité de la Corse, c’est-à-dire son identité. Un mal ronge le nationalisme corse, qu’il soit autonomiste ou indépendantiste. C’est celui de la mutation vers une proposition purement gestionnaire alignée sur les grands canons moraux de la bourgeoisie parisienne de gauche républicaine et universaliste, excluant toute notion de peuple historique, d’identité, de patrimoine humain et familial. Une mutation désormais largement opérée loin au Nord, dans la lointaine Alba de Wallace et des Mackenzie, aujourd’hui dirigée par Humza Yousaf, Premier Ministre indépendantiste d’origine pakistanaise, de culture musulmane, et de convictions wokes. D’où la nécessité de s’y intéresser et de considérer la forme que prend le SNP (Scotish National Party) comme l’aboutissement d’un processus intellectuel funeste pour l’identité des petits peuples d’Europe et dont la matrice philosophique qui l’inspire est déjà largement majoritaire au sein des cadres de l’autonomisme et de l’indépendantisme corse.
« Être corse : voilà donc, pour un Corse bien né, une fin plus immédiate, plus impérieuse que celle du pain ; on se console d’être pauvre ; on n’achète pas, avec un milliard, une once de fierté ou de beauté intérieure. » C’est ce que l’on peut lire dans A Cispra, sous la plume de son fondateur, Xavier Paoli. Une position clairement identitaire qui relègue, jusque dans l’excès, la question sociale à un rang tout à fait secondaire.
Le postulat duquel part la pensée de Paoli en mars 1914, repris dès 1920 par A Muvra, par l’A.R.C. en 1967 puis par le nationalisme corse jusque dans les années 2000, est désormais délaissé ou battu en brèche par une volonté clairement affirmée au sein d’une partie des élites corses – pour beaucoup ralliées par opportunisme à l’idée autonomiste – de produire un autonomisme désincarné, totalement détaché de la question identitaire et qui ne s’appréhenderait plus comme un outil au service de la sauvegarde d’une communauté humaine sur la terre de ses ancêtres mais comme une fin en soi permettant « d’augmenter le bien-être des Corses » selon les propres mots de la Présidente de l’Assemblée de Corse.
Ce passage d’un nationalisme au service de l’identité, qu’il soit autonomiste ou indépendantiste, à une revendication institutionnelle qui se suffit à elle-même, débarrassée de tout discours visant à sauvegarder un peuple autochtone, et dont la motivation principale réside dans le fait de rendre plus efficiente et productive la société dans laquelle elle évolue est caractéristique du grand virage qu’a pris le nationalisme écossais à travers son grand parti qu’est le Scotish National Party. L’indépendance pour vivre mieux, l’indépendance pour mieux gérer, l’indépendance pour mieux produire. L’identité, l’histoire, la culture, autant de notions qui ont historiquement été à la base de tout nationalisme, et qui tendent à être écartées dans le but de faire émerger une ligne plus respectable aux yeux de l’élite des grandes métropoles urbaines européennes tout en s’ouvrant aux populations d’origines immigrées.
Cette grande alliance entre classes aisées de convictions progressistes et masses précaires de culture musulmane est précisément ce qui définit ce grand phénomène électoral et intellectuel articulant la gauche européenne que d’aucuns appellent à raison l’islamo-gauchisme. Un état de fait qui permet au Premier Ministre Humza Yousaf de réaliser à Bute House (siège du gouvernement écossais) la prière du tarâwîh (première prière du Ramadan) tout en soutenant au Parlement écossais une loi terriblement controversée en faveur de la possibilité pour des enfants de « choisir » leur sexe dès 16 ans et ce sans consultation médicale.
Nous sommes nombreux, au sein même du nationalisme corse, à avoir adhéré, par naïveté, par nécessaire discipline partisane ou encore par immaturité politique, à un schéma de pensée qui prétendait pouvoir amalgamer pulsion identitaire et métaphysique cosmopolite. Au final, la première est toujours désamorcée, neutralisée puis évacuée par la seconde. Telles sont les grandes leçons de cette dernière décennie durant laquelle se sont imposés les grands sujets civilisationnels et sociétaux. Tout nationalisme réside nécessairement dans la volonté de défendre l’héritage des Pères, leur culture, leur sang, leur patrimoine immatériel plus encore que matériel ; si telles ne sont pas les motivations du nationalisme, en ce cas il n’est pas nationaliste et ne fait qu’en usurper le nom et la légitimité. Il nous faudrait revenir à ce qu’est le tiers-mondisme, au mal qu’il a produit et fait infuser, à la somme de contradictions qu’il a permis de faire cohabiter tant bien que mal au sein même de la revendication corse, mais cela nécessiterait à n’en pas douter de nombreuses pages explicatives. Or, il s’agit pour l’heure de conclure : Sans la ferme volonté de renouer avec les origines profondément identitaires du nationalisme corse, la terre, les morts, la mémoire, les ancêtres, la culture, la légitimité tirée de l’hérédité et de l’appartenance familiale, les valeurs traditionnelles ; sans ce travail salutaire de clarification idéologique et de remise en cause de dogmes tiers-mondistes structurants depuis les années 70, nous aurons aussi notre Humza Yousaf qui mènera localement le même agenda politique qu’un Jean-Luc Mélenchon, à la seule différence près que l’écriture inclusive se pratiquera en langue corse, que Saveriu pourra devenir Catalina et qu’on inscrira « Muschea » au fronton des nouveaux édifices religieux, le tout au nom d’un « nationalisme » corse qui achèvera ce qu’il nous reste d’identité traditionnelle.
Nicolas Battini