Victoire de Donald Trump : Alea jacta est

  Nous voici à l’inauguration du deuxième mandat de Donald Trump et comme l’a déjà montré mon collègue Ghjuvan-Francescu Luciani dans un précédent article, Francis Fukuyama y a vu l’événement marquant un changement d’époque. Dans cet article je vais tenter modestement de développer les premières conséquences politiques de l’élection à travers les réactions des différents camps, Démocrates et Républicains, ainsi que d’imaginer par un exercice de prospective quelles seront les évolutions probables des idéologies et de la géopolitique qui vont toucher les USA et tout l’Occident.

       En effet, si la victoire de 2016 n’était que la victoire de Donald Trump, 2024 apparaît davantage comme la victoire du trumpisme. Plusieurs éléments peuvent étayer cela comme par exemple le fait que le candidat républicain ait remporté cette fois-ci le vote populaire.  En 2016 Trump totalisait un score de 62 million de voix ce qui lui avait permis de remporter la majorité des grands électeurs, à la surprise générale car c’est un score relativement faible. En 2020, malgré sa défaite, il avait surpris en rassemblant 74 millions d’électeurs soit 12 millions de plus. et voilà qu’en 2024 il remporte l’élection avec 77 millions de voix ce qui en fait le républicain le mieux élu depuis les années 70. L’évolution de ces scores est significative et montre un ancrage de plus en plus important des idées portées par Trump. Ce à quoi il faut ajouter la progression spectaculaire que le républicain a réalisée auprès des populations de certaines minorités, traditionnellement démocrates.  Ainsi, Trump fait plus de 20 % chez les hommes afro-américains, là où les républicains tournaient autour des 8 % habituellement. De même chez les hispaniques, parfois fraîchement arrivés, c’est plus de 50 % des voix qui se sont tournées vers lui. J’aurais peut-être l’occasion de revenir sur les motivations de ces transformations dans un prochain article, mais contentons-nous de dire ici que nous assistons à une transformation profonde de l’électorat et donc de la culture politique américaine. C’est cela que je vais développer maintenant en commençant par les conséquences des résultats de cette élection pour la Gauche démocrate, puis en décrivant ce qui selon moi advient déjà des idées portées par les républicains.

La faillite des Démocrates

La défaite de Kamal Harris a sonné la Gauche américaine. En effet, cette fois-ci pas de manifestation, pas d’appel à la résistance ou alors ils ont été marginaux. La victoire de Trump, dans un fauteuil, alors que toute la presse faisait les louanges de la candidate démocrate la voyant déjà à la Maison Blanche a laissé tout son camp politique dans le désarroi. Les premiers jours, il a fallu trouver des excuses. on a donc commencé à blâmer le peuple américain, sexiste par essence (là, c’est autorisé), en parlant de “plafond de verre” qu’aucune candidate femme ne pourrait briser. On a pu aussi lire que le peuple américain serait raciste de ne pas avoir voté pour une femme noire. Bref, rien de nouveau sous le soleil des arguments de la Gauche. Néanmoins cette fois ils n’ont pas tenu la route étant donné que tant chez les femmes que dans les minorités ethniques ou chez les jeunes la démocrate a reculé alors que Trump a progressé. La sidération a donc été totale et quelques voix seulement ont commencé à émettre des critiques. Une volonté de remise en question du fond idéologique s’est emparée, non seulement de la Gauche américaine, mais de tous leurs camarades occidentaux. Et puis, des médias plutôt orientés à Gauche se sont mis à poser des questions au parti qu’ils soutiennent : ainsi MSNBC, à la mi-novembre, demandait aux démocrates de changer de stratégie. De même le journal progressiste The Nation a lancé un appel en début janvier : « aux populistes de Gauche : libérez votre imagination ». Une partie des intellectuels de ce bord politique veut trouver un Trump “de Gauche”. Le maire de New-York, Eric Adams, pourrait être la figure de proue de ce courant : il a sévèrement critiqué la politique migratoire de Biden mais a fermement refusé de rallier le camp Républicain. Cette mouvance oublie peut-être que Trump était démocrate, de même que Musk ou Robert Kennedy Jr…C’est donc le logiciel de Gauche qu’il faudrait reprendre entièrement. Et c’est peut-être ce qu’ont fini par comprendre certains élus de la branche socialiste du Parti démocrate. Symboliquement, certaines Congresswomen de cette tendance ont ainsi effacé leur “pronoms” de leur bio sur X au lendemain de la défaite de leur candidate. Ceci peut paraître anodin, mais le fait d’indiquer les pronoms usuels est un marqueur d’adhésion à l’idéologie trans et aux théories du genre. On peut donc penser que certains des démocrates les plus marxistes abandonnent déjà cette cause qui leur était pourtant si chère en apparence.

De la radicalisation à l’isolation de la Gauche américaine

Est-ce que le Parti démocrate va s’enfoncer dans le marxisme en se délaissant de l’idéologie woke ? C’est une possibilité qui a dû venir à l’esprit de certains élus et cadres. Cependant le wokisme, c’est-à-dire l’intersectionnalité des luttes féministes, no-borders, trans etc… garde encore de forts défenseurs et ceux-ci sont concentrés dans certains territoires comme la Californie. De nombreux élus locaux de cet État, mais également dans d’autres régions des États-Unis, avaient déjà annoncé qu’ils cherchaient des moyens de résister à l’administration Trump. On peut donc supposer que localement les élites démocrates ne changeront pas de stratégie ou d’idéologie mais vont poursuivre sur leur lancée mortifère. À ceci près qu’ils ne sont plus animés par l’espoir de faire germer au sein du peuple une adhésion massive en leurs idées radicales. Au contraire, il est probable qu’ils vont s’arcbouter sur un élitisme moral, voire aristocratique, comme le prédisait avec justesse l’historien Christopher Lasch dans La Révolte des Élites. Un des freins au nihilisme inhérent à l’idéologie woke résidait dans l’espoir, traditionnel à Gauche, d’éduquer la masse. Cet espoir s’est évanoui avec le vote majoritaire qui a soutenu Trump. Ces militants issus d’une génération d’enfants-rois n’auront pas la patience, ni la sagesse, d’attendre plus longtemps. Ce nihilisme intrinsèque alimenté par un mépris grandissant pour le peuple les poussera à abandonner tout soutien aux principes démocratiques. On peut supposer que vont se constituer dans certaines universités, dans certaines municipalités ou dans certains États, des enclaves wokes dans lesquels les décisions politiques se prendront de moins en moins avec le consentement de la majorité populaire, le tout paré dans un moralisme de Gauche de plus en plus radical. Une fuite en avant. Le discours selon lequel le peuple ne sait pas ce qui est bon pour lui va s’y développer avec davantage de rage qu’auparavant. Et ce moralisme puritain laissera les rênes du pouvoir de ces enclaves à une technocratie qui n’aura que mépris pour la majorité. Bas les masques ! Dans ces zones, cette Gauche se laissera aller à sa radicalité à mesure que son espoir de transformation de l’humanité et de gouvernance mondiale (et inclusive) s’effondrera. Sans doute que cette déchéance s’accompagnera de heurts fréquents avec l’administration républicaine, populiste et impériale au pouvoir, mais également avec les ailes du parti Démocrate décrites plus haut qui vont vouloir tendre vers une autre forme de radicalité ou bien se recentrer. 

À l’inverse de la division qui va ronger la Gauche démocrate et ses différents courants, la Droite US semble se fondre (presque) unanimement dans le Trumpisme. Nous aurons l’occasion de revenir sur les débats idéologiques qui se dessinent au sein de cet ensemble qui soutient le nouveau locataire de la Maison Blanche, mais pour l’heure, intéressons-nous aux grandes lignes qui vont irradier dans tout l’Occident. 

L’aube du césarisme

    Si Edward Luttwak, géostratège, décrit depuis longtemps les États-Unis comme un nouvel Empire Romain, on peut analyser l’avènement du Trumpisme comme l’équivalent de la naissance d’un nouveau Césarisme. Le Césarisme est un mode de gouvernement dans lequel une figure populaire concentre les pouvoirs afin de court-circuiter les élites et créer un lien direct entre les classes populaires et lui-même. À son époque, Jules César avait gagné le soutien du peuple de Rome en rétablissant les pouvoirs du Tribun de la Plèbe, porte-parole et défenseur des plus pauvres et de la classe moyenne romaine face aux élites. Trump semble avoir gagné le vote populaire comme champion de la plèbe américaine face aux élites Démocrates ET Républicaines (On peut penser aux Bush ou aux Cheney, responsables de la Guerre en Iraq et ralliés à Biden puis Harris). Comme présenté en introduction, cette posture n’a fait qu’accroître le nombre de votant sur sa personne au fil des années. Les tentatives d’assassinat dont il a été victime ont renforcé cette posture en lui donnant une dimension christique dans ce pays profondément religieux. 

     Cette assise populaire grandissante assure à Trump un soutien considérable qui provoque le désarroi des démocrates décrit plus haut, mais également une influence qui va dépasser les frontières US. Musk se charge déjà de répandre l’influence de leur ligne politique en Europe; ce continent qui n’est qu’une marche militaire de l’Empire américain depuis la Guerre Froide, dans laquelle la défense de la plupart des États est assurée par les GI. Il a multiplié les contacts avec l’AFD, ou Reform UK ces dernières semaines. Il a joué les entremetteurs entre Meloni et Trump, qui trouve celle-ci “fantastique” et qui veut travailler avec elle. Au moment où les gouvernements centristes allemands et français sont déstabilisés, ceci ne peut que conforter l’instabilité de leurs positions respectives. Van der Leyen et ses amis doivent avoir la tension qui monte.

     Dans un contexte géopolitique tendu et une crise énergétique qui n’en finit plus, l’influence américaine va se faire plus pressante à mesure que les mois vont passer. Deux chemins vont s’ouvrir pour les européens : ils pourront s’opposer à Trump, mais ce dernier prévoit déjà d’utiliser les droits de douanes, le ravitaillement en hydrocarbures et une hypothétique sortie de l’OTAN pour les calmer. Dans les deux cas, les lignes risquent de bouger et de placer l’Europe entière sous l’influence idéologique (au moins) voire politique directe (au pire) d’une puissance extérieure.

     Le nouveau César made in USA aura tout intérêt à placer ses pions pour se garantir un marché captif en Europe et des alliés fidèles (en bref, ceux qui n’ont pas souhaité sa défaite). D’autant que ce contrôle plus ou moins direct sur l’Europe tend déjà à se coupler d’un renforcement du contrôle territorial direct par l’État américain sur le reste de leur sphère d’influence. 

Un nouvel Empire

      Ce qui a commencé comme quelques boutades lancées en Décembre semble dessiner une politique étrangère trumpiste que je qualifierai non pas d’expansionniste (les territoires concernés sont déjà sous l’emprise américaine) mais de consolidation territoriale. Le Canada, le Panama, le Groenland, dont les intérêts stratégiques sont évidents, vont également, et davantage que l’Europe, sentir la mainmise américaine se renforcer. Trump veut véritablement sécuriser ses périphéries proches par un contrôle accru : l’impérialisme américain devient plus concret, et cela, au profit de la classe moyenne américaine. Il faut garder à l’esprit que l’impérialisme trumpiste est un césarisme, donc un populisme. Ainsi le nouveau président a annoncé la création d’un “External Revenue Service” (ERS), équivalent du service du Fisc américain, le ”Internal Revenue Service” (IRS), qui y prélève l’impôt sur le revenu. Cet ERS va taxer davantage tous les revenues des États qui profitent d’accords commerciaux avec les États-Unis : “Grâce à des accords commerciaux laxistes et pathétiquement faibles, l’économie américaine a apporté croissance et prospérité au monde, tout en nous imposant des taxes. Il est temps que cela change. Nous commencerons à facturer ceux qui gagnent de l’argent à notre détriment grâce au commerce, et ils paieront, ENFIN, leur juste part.” a assuré Trump.

     Cette volonté de concentrer les richesses de l’Empire en son centre pour le bien de son peuple va se traduire à l’intérieur par une baisse significative des prélèvements de l’IRS et à l’extérieur par une renégociation forcée de ces traités commerciaux en faveur des américains. En résumé : les citoyens de l’Empire paieront moins d’impôts et leurs partenaires commerciaux devront plier. Ce n’est pas Rome, mais ça y ressemble.

       En conclusion, la Droite américaine s’oriente dores et déjà vers un modèle proche du césarisme qui va rebattre les cartes de l’ordre mondial au profit du peuple américain (et de certaines grandes entreprises, c’est évident). Ce modèle risque d’infuser dans toutes les droites d’Occident mêlant populisme, conservatisme, nationalisme, mais également méfiance à l’égard de la bureaucratie dans un cocktail inédit. Tout cela dans un cadre exceptionnel puisque pour la première fois de l’Histoire un président américain va contrôler la Maison Blanche, la Chambre des Représentants (l’équivalent de l’Assemblée Nationale), le Sénat et la Cour Suprême. Tout cela va être pour le moins palpitant à suivre et à analyser.

Jeremy Palmesani

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