Dans sa lettre à Natalia Fonvizina, Fiodor Dostoïevski écrit : « […] rien n’est plus beau, plus profond, plus sympathique, plus raisonnable, plus viril et plus puissant que le Christ. »
À côté de la Sympathie et de la Raison qui constituent la figure glorieuse de Jésus Christ, le grand auteur russe ajoute la Virilité et la Puissance, des termes très peu associés de nos jours au Christianisme. Cette exaltation des vertus christiques nous ouvre ainsi à méditer sur le sens d’une virilité chrétienne, d’une imitation du Christ dont l’Amour est porté par la Force d’Âme. L’idée d’une virilité chrétienne a été bafouée en même temps que le christianisme en lui même a été critiqué et ridiculisé. Dans l’optique d’une guerre philosophique, il est logique de priver une doctrine de son principe actif, offensif et vigoureux, pour mieux la détruire et la remplacer ; la dévirilisation précède donc l’affaissement et la disparition d’une école de pensée, à l’inverse sa revitalisation appert comme son redressement et le renouveau de sa flamboyance.
I – Une religion de faibles ?
L’idée que le Christianisme est « une religion de faibles » remonte déjà à l’Antiquité où les chroniqueurs et penseurs romains accusaient déjà les chrétiens d’être efféminés, émotifs, car trop enclins à la pitié et au prêche de l’Amour que les Vir romains regardaient avec dédain dans le reflet de leurs glaives pointés vers les horizons exsangues d’un empire sans cesse en train de préparer la guerre. La culture martiale des romains vit donc d’un mauvais oeil une religion prônant la paix et rejetant l’idée de « mourir par l’épée », et l’Agneau de Dieu mort sur la croix ne remplacerait pas le dieu Mars et la foudre vengeresse d’un Jupiter irradiant de puissance dominatrice. Jusqu’au signe divin qui porta Constantin à la victoire, preuve irréfutable que le Christianisme pouvait porter les armées à la victoire et non pas seulement à l’asthénique pénitence devant la croix et la pauvreté, le Christianisme peina à faire valoir ses attraits virils et guerriers aux yeux d’une des civilisations les plus belliqueuses de l’histoire. Le manque de virilité du Christianisme était donc attribué à la pitié, donc l’intérêt porté aux pauvres, à la valorisation des femmes, de la monogamie contre la culture orgiaque de l’aristocratie romaine, ou plus simplement le refus de porter les armes que certains romains convertis au christianisme assumaient à leurs risques et périls. Le meilleur exemple de cette différence radicale s’incarne dans Saint Fabius, soldat chrétien qui, ayant refusé de porter les enseignes de la légion portant des emblèmes idolâtriques, fut décapité à Césarée de Cappadoce vers l’an 300.
Mais si l’Antiquité considéra le christianisme comme une religion manquant de virilité et de force, les plus véhémentes critiques germèrent selon nous à partir de la Renaissance, principalement à partir du XVème siècle, lorsqu’à travers la redécouverte des textes antiques et le déclin de la philosophie scolastique qui avait accompli la synthèse de toute la pensée chrétienne et de la pensée grecque , fusèrent des critiques de la théologie chrétienne et, par ricochet, des préceptes moraux qui en découlent.
Les Humanistes, prétendant mettre l’homme au centre de l’univers en y détrônant Dieu, qui y siégeait depuis plus d’un millénaire, frappèrent également les hommes de ce Dieu qu’ils affrontaient. Ainsi Rabelais, quoiqu’il ne fût pas le plus violent caricaturiste de la virilité chrétienne, accusa malgré tout la malpropreté des moines nourris de scolastique, cloîtrés dans des couvents humides et sales, dépourvus de force et de capacité de résistance face au danger. Dans le chapitre 25 du Gargantua, le Tyran Pichrochole, après avoir déclaré la guerre à Gargantua envoie ses hommes piller le domaine du géant. Ils s’en prennent donc à l’Abbaye de Seuilly où les moines, malgré le pillage, se laissent docilement conquérir sans répliquer. Tous, à l’exception d’un seul : « Frère Jean des Entommeures, jeune, fier, pimpant, joyeux, pas manchot, hardi, courageux, décidé, haut, maigre, bien fendu de gueule, bien servi en nez, beau débiteur d’heures, beau débrideur de messes, beau décrotteur de vigiles et pour tout dire, en un mot, un vrai moine s’il en fut jamais depuis que le monde moinant moina de moinerie; […]. Ce moine, à la description peu orthodoxe, symbole de sa non exemplarité de conduite, qui frôle une forme d’hérésie, est donc le seul qui riposte face à l’assaut des troupes pichrocolines dans une des plus truculentes scènes de toute la littérature universelle dont l’intensité et le génie suffisent à ridiculiser les blockbusters frénétiques qui aujourd’hui pullulent dans nos imaginaires. À la fin de la bataille, les « moinillons », expression péjorative pour désigner la faiblesse enfantine des moines, rejoignent donc le seul moine véritablement viril, mais assez peu chrétien, pour « égorgeter et achever ceux qu’il avait déjà abattus. Savez-vous avec quelles armes ? Avec de beaux canifs, de ces petits demi-couteaux avec lesquels les petits enfants de notre pays cernent les noix. » Les moines, dépeints sans la moindre virilité, usent donc de « petit demi-couteaux » contrairement au frère Jean qui affronte l’ennemi avec l’imposant « bâton de la croix, qui était en coeur de cormier, long comme une lance, remplissant bien la main et quelque peu semé de fleurs de lys, presque toutes effacées. » Nul besoin ici, de préciser l’évident sous entendu phallique avec lequel Rabelais se gausse des moines de Seuilly, symboles de la scolastique décadente…
Cet exemple illustre bien comment, durant la Renaissance, la virilité chrétienne quitte l’imaginaire collectif, remplacée par une virilité anti-chrétienne ou du moins critique du christianisme. Le Christianisme traditionnel se voit décrit comme une immense fabrique d’efféminés incapables de se battre.
Cela dit, même si la critique de Rabelais résonne grâce à la virtuosité extraordinaire de son style, elle n’en reste pas moins une critique qui appelle à une réforme de l’Église face au constat de ses erreurs, plus qu’à une négation du christianisme en soi. De ce fait, il n’affirme pas directement et radicalement que le Christianisme crée des hommes faibles et donc des armées médiocres. Cette critique viendra plus tard, durant l’époque des Lumières, sous la plume d’un certain Jean Jacques Rousseau qui fustigea l’idée même d’une authentique virilité chrétienne.
Rousseau, l’auteur du Contrat Social, le héros de la pensée à qui nous devrions toute la modernité philosophique et la démocratie contemporaine, la liberté d’opinion, et presque notre dignité d’êtres humains si l’on en croit les zélés sopholâtres de la pensée moderne, a violemment attaqué le christianisme dans son oeuvre la plus célèbre ( Il me semble ainsi assez difficile d’être à la fois chrétien et d’adhérer à toute la pensée de Rousseau mais peut être cela sera-t-il résolu dans un écrit à venir…)
Dans le Contrat social, le philosophe suisse qui fait un éloge de la liberté civique contre la servitude, accuse le christianisme de produire un éloge de l’esclavage ; le chrétien étant contraint, selon lui, de se soumettre devant Dieu, dégrade son désir de liberté et perd ainsi la force et la générosité qui animaient les peuples précédant le christianisme, les peuples des cités antiques, spartiates ou romains. Le Chrétien, en se soumettant à des principes non terrestres, finit, selon lui, par s’affaiblir, se sentir coupable devant Dieu, ce qui l’empêche de déchaîner sa force comme les peuples anciens : « Survient-il quelque guerre étrangère, les citoyens marchent sans peine au combat ; nul d’entre eux ne songe à fuir; ils font leur devoir, mais sans passion pour la victoire ; ils savent plutôt mourir que vaincre. Qu’ils soient vainqueurs ou vaincus, qu’importe ? La Providence ne sait-elle pas mieux qu’eux ce qu’il leur faut ? Qu’on imagine quel parti un ennemi lier, impétueux, passionné, peut tirer de leur stoïcisme ! Mettez vis-à-vis d’eux ces peuples généreux que dévorait l’ardent amour de la gloire et de la patrie ; supposez votre république chrétienne vis-à-vis de Sparte ou de Rome : les pieux chrétiens seront battus, écrasés, détruits, avant d’avoir eu le temps de se reconnaître, ou ne devront leur salut qu’au mépris que leur ennemi concevra pour eux. ». Il persévère même dans cette violente critique en réfutant aux soldats chrétiens toute forme de valeur au combat : « Les troupes chrétiennes sont excellentes, nous dit-on. Je le nie. Qu’on m’en montre de telles ? Quant à moi, je ne connais point de troupes chrétiennes. On me citera les croisades. Sans disputer sur la valeur des croisés, je remarquerai que, bien loin d’être des chrétiens, c’étaient des soldats du prêtre, c’étaient des citoyens de l’Eglise ; ils se battaient pour son pays spirituel, qu’elle avait rendu temporel, on ne sait comment. À le bien prendre, ceci rentre sous le paganisme ; comme l’Évangile n’établit point une religion nationale, toute guerre sacrée est impossible parmi les chrétiens. »
En résumé, Rousseau nie aux chrétiens la possibilité d’être d’authentiques guerriers, d’être authentiquement virils, car ils seraient trop obnubilés et hallucinés par un autre monde qui dévaloriserait la vie physique d’ici bas et les rendraient serviles par désintérêt de la vie, sans parler du fait que l’absence de nation, donc l’absence de distinction entre les hommes, uniformisés par « l’Amour du prochain », rend impossible toute guerre car le Chrétien, par principe, n’aurait pas d’adversaires au sein de l’humanité…
Évidemment, dans le sillage de Rousseau les critiques contre le Christianisme ont fusé de toutes parts durant le siècle des Lumières, celles-ci devant s’opposer symboliquement à « l’obscurantisme » de la religion en général, mais plus spécifiquement la religion chrétienne, victime de prédilection en Europe car plus connue et méprisée des philosophes de l’époque.
Cet engouement à assaillir la religion du dieu incarné culmina, selon nous, au XIXème siècle quand des philosophes comme Ludwig Feuerbach puis Friedrich Nietzsche firent de la critique du christianisme l’un des piliers centraux de leur oeuvres respectives.
Moins connu que Nietzsche, dont il fut pourtant l’une des influences les plus notables, Ludwig Feuerbach ne cessa d’attaquer la religion chrétienne en utilisant la critique de ses principes théoriques pour dénigrer sa morale. Pour résumer le livre de Ludwig Feuerbach dans lequel est exposée sa critique, l’Essence du Christianisme : celui-ci considère le Christianisme comme une religion du sentiment, à l’encontre de toute la philosophie chrétienne, scolastique, incarnée notamment par Saint Augustin et Saint Thomas D’Aquin qui pensaient le christianisme comme la raison même, héritier de la tradition rationnel des grecs. Or, au XIXème siècle, ainsi que dans toute l’histoire de la pensée jusqu’à très récemment, le « sentiment » fut l’apanage du féminin et donc le contraire de la virilité traditionnelle. Il résume sa doctrine de cette façon : « Les dogmes fondamentaux du christianisme sont des désirs réalisés du coeur – l’essence du christianisme est l’essence du sentiment. Il est plus agréable pour le sentiment d’être passif que d’agir, d’être sauvé et libéré par un autre que de se libérer soi même ; de faire dépendre son salut d’une personne plutôt que de la force de l’activité propre de chacun ; d’aimer plutôt que de combattre ». Le christianisme devient donc une matrice infinie de passivité où les croyants attendent sans agir qu’une force extérieure les délivre du mal plutôt que de l’affronter, les chrétiens sont donc, par essence, voués à perdre les batailles terrestres, obnubilés qu’ils sont par l’espoir du paradis céleste, un troupeau de rêveurs cloitré dans les hallucinations de l’Amour.
Cette critique de Feuerbach sera ensuite reprise par Nietzsche qui considéra le christianisme comme une “religion efféminée », un culte de la faiblesse et bien d’autres vocables. Il reprocha donc aux chrétiens d’êtres des idéalistes obsédés par ce qu’il nomme les « arrières mondes », c’est à dire des mondes idéaux, comme le Paradis et l’Enfer, qui n’existent que dans l’esprit de ceux qui y croient, et désolidarisent des hommes de la réalité pleine et entière, sensible, et donc de la douleur et de la force, de tout ce qui contribue à renforcer l’humanité, à la rendre plus active et donc plus virile. Une simple lecture de la Généalogie de la morale, de L’antéchrist ou de n’importe quel ouvrage de Nietzsche suffit pour comprendre les reproches qu’il adresse à la religion du Nouveau Testament. La culture de Nietzsche étant incroyablement riche, elle lui permet de synthétiser toute la mer de critiques contre le christianisme qui naquirent dès son avènement, critiques qu’il sut égrener au fil, souvent multiple et soumis à de multiples interprétation, de son oeuvre.
Ainsi, les critiques extérieures au christianisme qui le qualifient de religion inapte au combat, inapte à la virilité, en somme, comme une religion de faibles, s’axent principalement sur une interprétation péjorative de l’idée de pitié aussi bien que de celle d’amour, sur une assimilation de la foi à une perte dans l’abstraction et l’irréalité qui aboutit à une désincarnation du monde et donc à la dévirilisation de l’humanité. Le Christianisme souffre, pour ses critiques, d’être une religion où tout n’est pas physique, où une autre dimension que la dimension terrestre existe, la dimension divine, non plus physique mais méta-physique, l’espace de l’éternité, le lieu où l’espace et le temps n’existent pas mais qui est également le lieu où ils furent créés. Pour les intellectuels qui ont critiqué le christianisme, son défaut principal se situe dans la possibilité qu’il contient de « s’enfuir » dans un autre monde qui ne soit plus celui de la corporéité et donc celui de l’action. Pour un guerrier quitter le monde signifie quitter le combat, penser à l’au-delà équivaut à ne plus penser au champ de bataille.
L’influence des innombrables critiques du christianisme a ébréché la cuirasse du croisé qui réside dans le coeur de chaque chrétien, en le remplaçant par un agneau faible et sans défense face aux bêtes innombrables qui peuplent la surface de la terre. Mais contre ses critiques subsistait malgré tout le marbre imputrescible de la grande église catholique dont le toit bénis par la lumière divine pouvait encore protéger les chrétiens dubitatifs contre les raids de toute la modernité. Saint Pierre brandissait encore son glaive contre le Mal, et l’Eglise n’hésitait pas à l’aiguiser sans cesse afin de triompher de ses ennemis. Mais si l’Église brandissait une épée, elle assumait d’avoir un ennemi, elle le désignait clairement et les milliards de chrétiens sur la terre brandissaient le glaive de l’Esprit. Le concile de Vatican II, par sa quête du Salut Universel, édulcora considérablement le discours de l’Église.
En effet, l’Église, elle aussi marquée par les millions de morts que la Seconde Guerre Mondiale a répandu aux quatre coins du monde, voulut adoucir certaines de ses positions de peur qu’un quelconque excès d’autorité ne condamne le monde à sombrer de nouveau dans la violence et le sang. Pour éviter tout conflit, l’Église se voulut plus « inclusive » que jamais. Il ne s’agit pas d’évoquer dans le très riche détail l’intégralité des textes du concile mais il importe de se focaliser sur un certain laxisme qui domine selon nous, une certaine tendance sous-jacente.
Dans la constitution Lumen Gentium « Lumières des nations », une ouverture aux autres cultes se remarque aisément. Il est écrit : « Mais le dessein de salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui, professant avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour. Et même des autres, qui cherchent encore dans les ombres et sous des images un Dieu qu’ils ignorent, de ceux-là mêmes Dieu n’est pas loin, puisque c’est lui qui donne à tous vie, souffle et toutes choses (cf. Ac 17, 25-28), et puisqu’il veut, comme Sauveur, amener tous les hommes au salut (cf. 1 Tm 2, 4). »
L’accent mis sur l’ouverture aux musulmans qui prieraient comme les chrétiens, le Dieu unique, témoigne au mieux d’une grande magnanimité, au pire d’une aberrante compromission. Bien que ce texte soit sujet à interprétation, il creuse un véritable boulevard pour l’accusation d’hérésie car le Dieu des musulmans, même s’il est unique, au même titre que celui des chrétiens, n’est pas de nature trinitaire ( le Père, le Fils et le Saint Esprit). « Allah » est unique, d’une unicité inviolable au point que les musulmans accusent les Chrétiens du péché d’association lorsqu’ils affirment le culte de la Trinité… La tendance à l’inclusivité symbolise selon nous, un recul de la virilité de l’Eglise qui, faute de persévérer dans l’affirmation de sa suprématie spirituelle sur les autres cultes, de son intransigeance dans la conviction qu’elle seule apporte la Vérité, elle devient plus douce, plus accueillante, moins sourcilleuse, plus faible en somme.
Cette faiblesse se manifeste d’une façon analogue dans la progressive disparition de la figure du Mal. Alors que les églises du Moyen Âge étaient tapissées de terrifiantes gargouilles dont les faces difformes terrorisaient les enfants et les femmes et donnaient, par contraste, confiance en un Dieu dont la mission était de vaincre les enfers et leurs ventrées d’abominables malédictions, l’Église post-Vatican II décida d’éclipser de plus en plus la figure du Mal, du Malin, de la Bête, de Satan. De sorte que, si il est évidemment, et heureusement, encore mentionné, sa figure explicite quant à elle s’en retrouve mise à l’index, comme pour ne pas brusquer les fidèles et ne pas leur faire peur en leur rappelant la destinée relative à tout chrétien : celle de triompher du Mal. Or si l’Église répugne à désigner le Mal, c’est qu’elle répugne à en triompher. Le triomphe est trop voyant, trop affirmatif, trop orgueilleux, trop exclusif : trop viril… et donc trop risqué, car s’affirmer suppose de s’exposer à ses ennemis, à leurs flèches et à leur jalousie. Le fait de ne plus pouvoir identifier clairement le Mal après Vatican II empêche de « désigner l’ennemi », phénomène que le philosophe allemand Carl Schmidt considérait comme le début de toute politique, donc de toute action collective et concrète, de toute prise de position radicale et affirmée. Celui qui ne sait qui il affronte ne sait où diriger ses armes, si ce n’est peut être et malheureusement, contre lui même. Faute de pouvoir attaquer un autre, on finit bien souvent par se meurtrir soi même, se remettre en cause et se trahir.
La dévirilisation du christianisme moderne jaillit donc de deux sources, l’une précédant l’autre mais influençant le cours de ses eaux : la critique athée ou anti-chrétienne construite patiemment et méticuleusement par la philosophie, la philosophie moderne qui succède à la Renaissance ; puis la compromission de l’Eglise elle même qui, pénétrée et influencée par le contexte historique et les idées qui ont germées sur ses flancs déchirés par les catastrophes du XXème siècle, se fit de plus en plus inclusive et de moins en moins affirmative de sa légitimité transcendante à révéler aux âmes, toujours en quête de sens depuis la Chute, l’invincible lumière de la Vérité, l’Unique Vérité de son dogme.
Toutefois, si l’oeil se jette dans le passé, dans les siècles qui ont vu un christianisme debout face au cieux et à la terre, reliés par la Croix, rutilante de gloire, des milliers de grandes figures apparaissent ; des chrétiens qui sans faillir sous les persécutions continuèrent d’endurer les supplices pour faire battre le coeur flamboyant du Christ dans les âmes antiques jusqu’à faire apparaître la Sainte Vierge dans les songes conquérants de l’Empereur Constantin qui, par la gloire de Dieu remporta la victoire ; l’eau bénite coule sur les armes lorsque Clovis s’agenouille devant le Saint visage de Dieu devant lequel défilent déjà des milliers de bannières où la croix resplendit, portées par des hommes en armes qui construisent, en priant et combattant, l’Autel, grand comme un continent, qui fut l’Europe chrétienne où chaque chevalier tombé au combat devenait un trait de lumière de plus qui éventrait les entrailles des enfers. Une lumière éclatait sur les cuirasses, jusqu’au midi incommensurable, au plein soleil de la foi et du fer, à la pleine lumière de la Croix et de l’Épée, qui vit des milliers de croisés traverser le monde pour reprendre la Terre Sainte de Jérusalem. Un périple inouï, une célébration de la vie et de la foi transcendant toute mesquine prudence rationnelle, qui fit dire, huit siècles plus tard, au grand écrivain Léon Bloy que « la folie des croisades est ce qui a le plus honoré la raison humaine ».
Un tel héroïsme guerrier ne peut sempiternellement marcher à côté de la croix sans qu’une doctrine le lui autorise. Si le Christianisme n’était qu’une religion de morale douce et pacifique, de tels évènements n’auraient jamais pu avoir lieu ; ils auraient été traités d’hérésie immédiatement si la contradiction entre la Croix et l’Épée était si évidente. Après avoir ébauché une description des critiques et attaques contre le Christianisme qui l’ont dépeint comme une religion de pure douceur sans capacité de se défendre physiquement, il importe à présent de consacrer la suite de notre réflexion aux aspects guerrier, virils, de la religion chrétienne. Tout d’abord en évoquant les nombreuses références qui conduisent le chrétien à porter les armes, les concepts et les positions des grandes figures du christianisme, puis en posant un regard sur le Christ et le modèle de virilité combattante qu’il incarne.
II- « Que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée. »
Un nombre incroyable d’auteurs a associé la foi chrétienne à la dynamique guerrière mais pour ne pas s’aventurer dans une épuisante exhaustivité trop sèche et trop scolaire, il importe de se centrer sur deux figures éminentes : Saint Augustin et Saint Paul.
Saint Augustin, père de l’Eglise et éminent philosophe, auteur des Confessions aussi bien que de la Cité de Dieu, oeuvrant à explorer les profondeurs de sa propre âme aussi bien qu’à bâtir le meilleur des mondes politiques qui soit, a forgé un concept déterminant qui lie le christianisme à la guerre et justifie celle-ci : la guerre juste.
L’idée de Guerre Juste naît chez Saint Augustin comme une guerre qui se fait, malheureusement, au nom de la Justice. En effet, même si Saint Augustin ne fait pas la promotion de la guerre, théâtre selon lui d’ignobles brutalités et de violences hors normes qui suffiraient à recouvrir le monde entier de pêché, il pense la Guerre Juste comme un moyen de rétablir la Justice. Pour un chrétien rétablir la Justice signifie promulguer la morale de l’Église, et faire en sorte, par ses actes, de propager la parole du Christ, le Verbe de Dieu. Il y a injustice proprement dite si il y a un refus délibéré d’écouter la Vraie Parole, si il y a trahison de la vérité qui, pour le chrétien, s’est incarnée dans le Christ.
Pour cette raison, la Guerre Juste est toujours une solution de dernier recours comme le précise Saint Thomas d’Aquin à la suite de Saint Augustin, car il ne s’agit en aucun cas de violer, a priori, l’intégrité d’un autre état ou d’une autre personne, mais d’empêcher, justement, qu’une violence extrême frappe les innocents, les faibles, et détruise l’harmonie sociale qui seule permet la conservation et l’épanouissement de la vie. Pour cette raison, la guerre juste coïncide souvent avec la défense de la patrie si celle-ci n’est pas criminelle ou injuste envers les autres patries et nations. Cette autorisation à faire la guerre pour la défense de la patrie permit l’émergence d’un nombre incalculable de figures qui ont mis l’étendard de leur nation sous la lumière de la Croix. Elle sont innombrables, mais je me limiterai à citer l’exemple extraordinaire de Circinellu, prête catholique qui durant la guerre qui opposa la Corse indépendante de Pasquale Paoli au Royaume de France de 1768 à 1769, jura sur l’autel de défendre la Corse jusqu’à la mort. Celle-ci selon la légende le surpris dans une grotte et les témoins constatèrent que Circinellu était mort « Ceppu in manu è croce in pettu », mais il s’agira d’en parler dans un prochain article.
La Guerre Juste puisqu’elle porte l’étendard du Christ, doit donc s’efforcer d’être mesurée. Saint Augustin écrit en ce sens que : « Chez les vrais adorateurs de Dieu les guerres même sont paisibles, qui ne sont pas faites par cupidité ou par cruauté, mais dans un souci de paix, pour punir les méchants et secourir les bons ». Protéger les bons suppose de ne pas devenir méchant soi même et donc comme l’écrit Saint Thomas D’Aquin que l’« on doit se proposer de promouvoir le bien ou d’éviter le mal. » Le triomphe des hommes par les armes ne doit pas servir de prétexte à l’hégémonie du Mal et d’une violence illimitée. Promouvoir le bien signifie respecter une certaine ligne de conduite, frapper tout en retenant son coup, en mesurant sa force sous l’éclairage du Bien. Un tel sens de la Mesure dans la Force, une telle éthique de la retenue qui s’oppose à l’acharnement sauvage des guerres non chrétiennes, fut celle qui, autant que faire se peut, pénétrait les chevaliers chrétiens durant le Moyen Âge. Ceux là même qui, bien que farouches, étaient sommés de ne jamais attaquer un homme désarmé, une femme, un enfant, ou un innocent. Céder à cette violence indigne eut été vu comme un dégradation de soi et un retour à la primitivité barbare.
La question de la Guerre Juste anime encore de très nombreux débats concernant la guerre, et il n’importe pas ici de persévérer indéfiniment dans cette voie. Retenons cependant que l’idée de Guerre Juste pourtant développée par des théologiens chrétiens, démontre que la guerre n’est pas un impensé de la doctrine chrétienne, et ce fait efface la caricature du chrétien totalement lénifié à qui sa religion interdit de se défendre. Sa religion l’autorise à se défendre, physiquement même, à condition qu’il le fasse dans le but de faire plus de bien à son ennemi que de mal, car s’il cède à la tentation de détruire son ennemi plutôt que de le sauver, même par la force, alors il gagne sur le plan physique mais est défait sur le plan métaphysique par l’influence du Mal. Ce qui prouve au fond que si le chrétien peut être un guerrier sur terre, sa victoire la plus resplendissante doit se faire sur un plan supérieur car comme l’écrit Saint Paul dans l’Épître aux Ephésiens 6,10-17 : « Nous n’avons pas à lutter contre des adversaires de chair et de sang, mais contre les princes, contre les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal répandus dans l’air »
Cette phrase extraordinaire prononcé par Saint Paul dans l’Épitre aux Éphésiens, figure dans un extrait que certaines éditions de la Bible ou des Évangiles nomment : Le combat spirituel.
À défaut de citer l’intégralité du passage de Saint Paul, il importe d’en saisir l’esprit général qui transparait aux abords de certaines expressions. Saint Paul n’hésite donc pas à exhorter les fidèles à la puissance et la vigueur : « […] rendez-vous puissants dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force. Revêtez l’armure de Dieu, pour pouvoir résister aux manoeuvres du Diable » Le Chrétien doit être fort, vigoureux, capable de résister au Mal, et il doit justement puiser sa force dans le Seigneur, dans l’écoute de son commandement. Saint Paul va même illustrer les vertus, les attitudes qui permettent au chrétien de se tenir debout et de résister, les enseignements divins deviennent autant d’armes qui repoussent les ténèbres : « Tenez vous donc debout, avec la Vérité pour ceinture, la Justice pour cuirasse et pour chaussures le Zèle à propager l’Évangile de la paix ; ayez toujours en main le bouclier de la Foi, grâce auquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Malin ; enfin recevez le casque du salut et le Glaive de l’Esprit qui est la parole de Dieu » Cela signifie que la conscience de la Vérité, la fidélité à la Justice qui permet de ne jamais manquer sa cible, l’endurance infinie que confère le Zèle, la certitude intime qui découle de la Foi et qui donne au chrétien le pouvoir de ne jamais hésiter avant d’agir, le Casque du Salut qui protège le combattant de sa peur de la mort qui peut à tout moment le frapper, sont autant de pilastres intérieurs qui soutiennent la basilique de l’âme guerrière, de l’âme qui doit endurer toutes les offenses, toutes les blessures, risquer sa vie devant des millions d’ennemis, avant de répliquer, de toutes ses forces avec le glaive de l’Esprit, en faisant résonner contre toute l’adversité possible, la Parole du Christ.
Le combat spirituel de Saint Paul n’évoque pas directement le combat physique, les corps à corps violent des champs de batailles, mais il n’empêche que l’attitude qu’il décrit demeure incroyablement virile, elle révèle une guerre de chaque instant contre le Mal qui partout rôde et attend une brèche pour s’immiscer dans une âme délaissée par Dieu. Très loin des mièvres et lénifiantes homélie d’un christianisme qui ne désigne plus son ennemi, le combat spirituel que Saint Paul glorifie, peut construire la base dogmatique d’un raffermissement des chrétiens, longtemps caricaturés en émotifs prêt à tout accepter, passivement et docilement.
Une docilité qui longtemps fut associée à l’agneau de Dieu, comme si le Christ lui même était de pure douceur ( je ne m’attarderais pas à évoquer le célèbre passage des marchands du temple suffisamment explicite pour contrecarrer toutes les descriptions mensongères concernant la douceur et la tolérance du Christ, ni même à la liste de ses actions qui prouvent que le Fils de Dieu n’était pas anti-militariste ). Il importe, néanmoins, pour clore cette longue réflexion, de se pencher sur la figure du Christ et sur la paix, l’Amour et l’Espérance qu’il est venu partager au monde entier. Cette Paix, cet Amour et cette Espérance qui fondent l’âme chrétienne, sont également de grandes valeurs guerrières et viriles
III – Si vous voulez faire la guerre, embrassez la paix du Christ
« Si vis pacem para bellum » dit l’adage romain , pour le chrétien cet adage se renverse. La Paix, et la stabilité qu’elle suppose, sont les conditions pour mener le plus grand des combats, la guerre pour la Vérité. Le Christ l’enseigne sans cesse au chrétien.
La maîtrise de soi suppose la paix de l’âme et celle-ci demande de ne pas réagir aveuglément face à l’adversaire. Lorsque Ponce Pilate gifle le Christ et que ce dernier tend l’autre joue, d’innombrables critiques sont déjà là pour affirmer que, par cette acceptation sans réplique, le Christ accepte passivement son sort. Rien n’est plus faux en vérité. Il faut comprendre que les Évangiles ne jaillissent pas du néant d’un esprit inspiré, ils viennent accomplir et compléter l’Ancien Testament, donner son aboutissement à l’ancienne loi hébraïque qui se basait sur la loi du Talion « oeil pour oeil, dent pour dent ». Cette loi fonde une justice de la réciprocité qui conduit, tant qu’il existe des hommes, à une extension infinie de la violence, une boucle qui ne peut jamais s’arrêter. Si le Christ avait lui même frappé Ponce Pilate après avoir reçu sa gifle, alors il aurait cédé à la provocation et donné naissance à une nouvelle spirale mortelle de violence. Par cet acte d’acceptation de la violence, par ce sacrifice de la loi du Talion, il élève l’idée de Justice et instaure la Paix en résistant à la tentation de faire la guerre. Cette attitude, au sein d’un combat, est primordiale, car elle privilégie la lucidité, l’Esprit maître de lui même plutôt que la matière chaotique qui embrase sans cesse les pulsions humaines. Un combattant qui répliquerait immédiatement, brutalement et sans prendre sur soi le temps de réfléchir, se condamne à un déchaînement anarchique de ses forces, qui le rétrograderait au rang d’animal insensé, de pure matière sans forme. En ne répliquant pas le Christ fait preuve d’une indicible maîtrise de soi, sa chair humiliée devient le lieu où les fleuves de la violence cessent de couler mais deviennent, en se rassemblant sur eux même, une grande vague, plus haute et finalement plus puissante. Les moines soldats qui s’élançaient au combat après des heures entières de prière silencieuse, après des heures à recueillir en eux même la paix et la force calme du Christ au sein de leurs âmes, devaient dégainer l’épée sans faillir, avec une sérénité et une lucidité telles qu’elles décuplaient leur puissance. Leur lucidité émane d’un détachement intérieur, d’une attention totale qui ne cède pas devant les tentations du désordre, devant les hurlements que poussent les instincts. Un détachement qui, lorsqu’il culmine au sein d’une âme, peut donner au chrétien qui s’en imprègne jusqu’à la plus profonde racine de ses nerfs, une sérénité telle qu’elle peut lui donner l’idée qu’il n’a plus d’ennemi en ce monde. Focalisé sur ce qui dépasse toutes les formes d’opposition, c’est à dire l’immuable grandeur de Dieu, le chrétien ne juge plus celui qui lui est hostile comme un ennemi, mais comme un être perdu qui attend de recevoir la Vérité, qui est l’Amour de Dieu et la condition de la paix. Seul celui qui a atteint cette hauteur de l’Esprit, cette profondeur de vie et cette puissance de sérénité, peut authentiquement « Aimer ses ennemis » comme le Christ invite à le faire « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent » (Matthieu 5, 44).
Aimer ses ennemis constitue le premier mouvement pour les combattre, pour affronter le mal qu’ils logent en eux. Dans l’amour de Dieu pour les hommes réside le secret de toute virilité, de tout courage. Il est le total don de soi, celui qui a poussé Dieu à quitter les splendeurs paisibles de l’éternité, pour s’incarner, devenir homme, accepter de subir les plus extrêmes douleurs physiques, des flagellations à la crucifixion, jusqu’à ressentir, au coeur d’un moment qui transcende l’intelligence humaine, l’angoisse désespéré de l’homme qui se sent abandonné de Dieu toute résumée dans cette phrase extraordinaire que le Christ prononce du haut de la croix : « Mon père pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Dieu a accepté de ressentir sa propre absence. Pour le chrétien ce sacrifice émane de l’Amour. L’Amour confère donc le courage de donner jusqu’à sa vie, d’abandonner tout plaisir, tout bas instinct de conservation, de se jeter corps et âme dans le combat contre le Mal, quitte à se perdre soi même, disparaître pour permettre à Dieu de se révéler à travers soi. Exemple à suivre pour le soldat, cet absolu don de soi maximise les chances de remporter la victoire en se libérant de toute les demi mesures, toutes les hésitations et les craintes qui font manquer de force quand se révèle le moment décisif. L’Amour conduit à incarner ses idées, à les projeter sur la matière par le biais de son propre corps, à traverser la distance qui sépare du prochain qui se dresse devant soi, même si cette distance est pavée de mines, d’armes tranchantes, de mâchoires meurtrières, en un mot de Douleurs, pour vaincre à tout prix le mal en lui. Mais comment le chrétien peut il demeurer ferme dans son Amour et maintenir en lui cette Paix, ces éléments essentiels à sa victoire sur le Mal ?
La Paix et l’Amour ont ils un sens ? Le chrétien se bat il en vain ? Le Sacrifice du Christ est il absurde ? Que manque t-il à l’Amour et la Paix pour écraser le serpent et racheter le péché originel ? Toutes ces questions trouvent leur réponse dans la double lumière de la Foi et l’Espérance.
La Foi est ce qui fonde la détermination du chrétien, l’Espérance est l’énergie vivante qui sourd de la Foi. L’homme croit que ses actes peuvent avoir un sens, puis son regard se jette à l’horizon et d’un seul coup il « veut », il désire, et lorsque sa Foi et sa Volonté se rencontrent et se fondent l’une dans l’autre alors l’arbre de l’Espérance s’élance vers le ciel. L’homme qui espère est aussi l’homme qui ose, l’homme qui malgré l’inconnu toujours prompt à faire trembler la main, à ébranler l’esprit et faire trembler le coeur sous l’angoisse qui érode les âmes. Mais l’échec, la confusion, le chaos, l’horreur et l’indécision ne saisissent que ceux qui se projettent dans les fluctuations infinies du monde temporel, périssable, matériel, toujours changeant et soumis à l’éternel retour d’une fondamentale absurdité ; l’homme pétri par la Foi, incendié d’Espérance, s’appuie sur l’Eternité, sur la croyance invulnérable qui lui permet de s’élever au dessus de la violence perpétuelle du monde. La Foi peut être une fuite, un cloître d’imagination pour celui qui refuse le combat avec le monde, mais pour celui qui décide de jeter son corps et la plus mystérieuse étincelle de son âme contre les ténèbres de l’abîme, elle irradie dans l’esprit et embrase le corps qui, tous deux, ne doutent plus, ne vacillent plus. Celui que guide l’Espérance marche, suivant le signe gravé dans l’indicible faille de toute réalité. Que le ciel s’ouvre en d’incommensurables pluies froides et assassines, que la terre se déchire et tremble sous les éclairs de la fin des temps, que des rouleaux de flammes remplissent les hauteurs des nues, que toute vie s’assèche et commence à se décomposer sous le fléau des pestes et des tempêtes de la mort et de la guerre, que l’air devient acide comme le souffre irrespirable des entrailles de la terre, quand tout plaisir devient impossible, quand l’homme n’a plus ni père ni mère ni la doucereuse chaleur des siens, plus de bouche pour manger, d’oreilles pour entendre, d’yeux pour voir, qu’il ne comprend plus ce que signifie « sentir », que toute l’immensité des mondes se couvre d’un silence impossible où plus rien ne vit, plus rien de luit ni n’a de sens : il lui reste, si profondément que cela transcende la profondeur même, la confiance intime que quelque chose arrivera… Alors, au sein des gouffres, dans les lambeaux ineffables des limbes, l’esquisse, la trace indiscernable d’un visage se précise jusqu’à ce qu’apparaisse la lumineuse figure de Dieu. Ce visage implacable plein de cette immortelle beauté qui ouvre aux coeurs des rivages illuminés de paix, cette face qui pourrait à elle seule pulvériser toute la Création si Sa splendeur venait à se manifester pleinement à tous les êtres, la face du plus grand des guerriers, le vainqueur du plus grand de tous les combats , Lui qui a déclaré à Saint Jean :
« J’ai vaincu ce monde » Jean 16:33
Luciani Ghjuvan Francescu