Oui Aleria, Aleria. “Colons fora” et “Terra corsa à i Corsi”. C’était le mot d’ordre. Très peu progressiste en effet, purement nationaliste comme tu peux le voir. Qui plus est, chez un allogène qu’on invite alors à partir.
Voilà o ciù. Prends ce livre. C’est Autonomia. Le grand programme de l’Action Régionaliste Corse des frères Simeoni. Je ne vais pas te dire comme la plupart que l’on touche à ce que le nationalisme corse compte de plus primitif, ce n’est pas vrai. Il faudrait que je te parle d’A Cispra en 1914 et de son : “Debout pour l’Autonomie ! Debout pour le salut de votre race qui, jamais, jamais ni du temps des féodaux, ni du temps des Génois n’a été aussi avancée dans l’ombre de la mort !” Ou même d’A Muvra qui publia de 1920 à 1939, conceptualisant le corsisme et revendiquant son nationalisme corse cinquante ans avant l’A.R.C. C’est une histoire complexe. Dis-toi qu’ils citaient souvent Mistral, quelque chose de merveilleusement authentique : “Par conséquent, si nous voulons relever notre pauvre patrie, relevons ce qui fait germer les patriotes : la religion, les traditions, les souvenirs nationaux, la vieille langue du pays.” Dis-toi aussi qu’ils étaient des anciens combattants de 14 pour la plupart de droite, très à droite. Il y eut des fascistes dans le nombre, c’est vrai. Pire, des irrédentistes. Mais la République en profita pour tous les expédier, irrédentistes ou pas, aux travaux forcés en 45, les marquer au fer rouge et plonger la revendication corse dans l’inaction et l’inexistence durant trois décennies. Mais c’est une histoire compliquée qui mérite bien une longue discussion, une autre fois. En attendant, regarde.
Tiens, prends ce livre. Je vais brièvement t’expliquer à quel point Aleria est à refaire. Mais peut-être pas avec des fusils et pas non plus contre l’État.
Lis, juste ici : “On s’adresse ici aux Corses pour qui la Corse est et doit rester la terre de leur Histoire, de leur Langue, de leurs Traditions, mais surtout la terre de leur avenir et de l’avenir de leurs enfants dans une existence d’hommes libres, excluant tout reniement de ce qui est leur identité naturelle.” Maintenant, je te mets au défi de retrouver dans tout ceci une once de point commun avec ce qu’il se passe de nos jours, alors que gouvernent leurs supposés héritiers, avec ce que l’on dit, ce que l’on revendique, ce que l’on met en avant et surtout, surtout o ciù, avec ce que l’on vit. Cherche.
L’Histoire ? Laquelle précisémment ? Celle d’Ugo Colonna qui reprit en 816 la Corse tombée aux mains des musulmans ? Celle d’Arrigo della Rocca et de la tête de maure qu’il nous ramena en 1372 de la Maison d’Aragon, alors en pleine Reconquista contre les Maures d’Ibérie ? Celle des tours génoises érigées dès 1531 par les communautés villageoises pour prévenir les raids turcs et nord-africains, intenses depuis la chute de Constantinople en 1453 ? Celle de Paoli qui mena son généralat d’une poigne de fer à la tête de ses troupes armées, établissant sans état d’âme son implacable ghjustizia paolina, pourchassant ses ennemis et rasant des villages entiers, et que l’on travestit désormais en sorte de bonhomme bienveillant et efféminé pour complaire aux nouvelles valeurs castrées de notre siècle urbain ? Celle de Napoléon, le plus illustre des Corses, qui conquit la France, soumit l’Égypte et l’Europe, présenté de nos jours par les pires falsificateurs post-soixante-huitards comme un “traître à la Corse”, un tyran, un esclavagiste en le jugeant à l’aune de critères qui n’étaient pas d’usage alors ? Cette Histoire là ? Foulée au pied, réécrite, reléguée dans les derniers de nos tiroirs modernes en faveur d’une tambouille larmoyante, mensongère et victimaire qu’est ce récit pleurnichard d’une Corse colonisée, humiliée par tous les grands de ce monde, présentée comme un petit bout européen et blanc du Tiers-Monde par des gens qui souvent jouissent d’un confortable abri économique dans la fonction publique et dont les grand-parents composèrent sous la IIIe République le tiers corse de l’administration coloniale.
La Langue ? Les Corses ont pour langue le français, quelques-uns d’entre eux le corse également. Mais connais-tu une autre réalité que celle-ci ? Sincèrement, je veux dire. En t’extirpant laborieusement de la doxa orthodoxe et du pathos idéologique officiel ? Et très franchement, n’est-il pas évident que le corse a vocation désormais à devenir une langue liturgique, une langue de la mémoire, une langue-repère, comme le fut l’hébreu durant des siècles pour les Juifs, qui ne sera plus parlée que par deux catégories de notre race : les lettrés intellectuels d’une part, qui développeront leur propre registre de langue, plus littéraire, plus soutenu, liront, produiront et échangeront entre eux dans ce petit monde de quelques centaines de doctes corsophones, et d’autre part les Corses les plus rustiques issus de familles réellement rurales et enracinées, c’est-à-dire un petit dixième des Corses d’aujourd’hui qui, du reste, a vocation à diminuer progressivement. Ou bien, par facilité, par convenance, contente-toi de l’orthodoxie autonomiste et indépendantiste, fais semblant et continue de dire que la langue corse va vivre, se régénérer, redevenir la langue du quotidien, que cela ne dépend que d’un statut, et dis-le en français, dans des réunions, aussi bien autonomistes qu’indépendantistes, qui se tiennent en français entre militants qui élèvent leurs enfants en langue française. Moi-même, qu’y puis-je si parler en corse me condamnerait à une obligatoire confidentialité et si la simple volonté de donner de la visibilité à mon propos exige de moi que j’utilise le français qui, de fait, est également ma langue, sinon vernaculaire au moins véhiculaire. Mais j’ose le dire, c’est ma langue. Nationaliste corse oui, de langues corse et française.
Les Traditions disait l’A.R.C. ? Nos réelles traditions, c’est-à-dire ce vaste ensemble de convenances et de codes sociaux qui s’étend bien au-delà de la seule question linguistique. La famille traditionnelle, la religion traditionnelle, les coutumes, les processions, les grandes fêtes villageoises, un tout identitaire résumé en un seul mot qui recouvre toutes ces facettes de notre socle commun : le christianisme. Regarde à présent, cherche ces traditions et leurs défenseurs. Dans une ville comme Bastia dont la majorité municipale, étiquetée nationaliste pour partie bien que s’en revendiquant de moins en moins, et à raison, fait voter lors du Conseil Municipal du 5 mars 2021 le très officiel rapport intitulé “Rapport égalité homme femme” qui préconise la “généralisation de l’écriture inclusive dans toute la communication officielle de la Ville et du maire : communiqués de presse, courriers, journal de la ville, rapports au Conseil municipal”, avant de proposer la formation des “ agent·e·s sur l’approche non genrée, notamment pour les agents en contact avec les enfants (centre de loisirs, écoles, crèches…)” , tout en réunissant un conglomérat de petits bourgeois progressistes derrière la candidature Bastia 2028 au titre de capitale européenne de la culture, véritable profession de foi woke et déconstructiviste défendue à l’Assemblée de Corse au son d’un grand : “La Corse n’est jamais autant elle-même que lorsqu’elle est ouverte aux autres”. En somme, tout le corpus idéologique aujourd’hui porté par la pire pinzuteria de notre temps, par les plus écœurantes pensées bourgeoises et cosmopolites de la décadente et très urbaine élite française de gauche. Les Corses, noyés sous l’afflux migratoire, meurent en tant que communauté de cette ouverture totalement mystifiée. Traditions, disait l’A.R.C. ? Relie bien : “excluant tout reniement de ce qui est leur identité naturelle.” Allons plus loin si tu le veux bien, regarde ici. Dans le chapitre “La Population.” Lis, regarde, juste là : “Or dès 1972 l’INSEE donnait, pour toute la Corse, 45.659 étrangers. Si l’on y ajoute les Français métropolitains que l’on peut évaluer à 50.000 on constate qu’il y a sur le territoire insulaire 95.000 non-corses, donc 119.000 Corses seulement (sur 214.000).” Et bien vois-tu ça, ce à quoi se livrait l’A.R.C ? C’est un propos ethnique. Tu te doutes bien de la disposition d’esprit de l’époque concernant le concept “d’ouverture sur le monde”.
Ce que je veux que tu comprennes, c’est que le nationalisme ne réside pas dans le fait de vouloir l’autonomie ou bien l’indépendance. Les questions institutionnelles ne sont que des outils. La véritable essence de toute démarche réellement nationaliste est identitaire. Sauver un groupe humain, défendre une part du patrimoine culturel de l’Humanité sur la terre qui l’a vue se développer à travers les générations. Peuple, race, ethnie, emploies le terme qui te convient, on en revient au groupe humain, à la communauté de familles qui se reconnaissent entre elles comme faisant partie du même monde et de la même histoire. Xavier Paoli précisait sa pensée en la matière dans l’unique numéro d’A Cispra : “L’Autonomie ne consacrera donc pas seulement l’héroïque grandeur de notre race, son droit à la vie : elle peut seule nous donner la prospérité matérielle, chose secondaire, mais nullement négligeable. “L’être” d’abord, le “mieux-être” ensuite.”
L’être d’abord, o ciù. Entends l’identité d’abord. Et tout cela pour te dire quoi en définitive ? Et bien qu’il faut bien se rendre à l’évidence. La mode est aujourd’hui à l’autonomisme, oui. Pas au nationalisme. L’autonomie était censée être un outil au service de la défense de l’identité traditionnelle des Corses. Or, on l’a vidée de tout contenu identitaire. L’actuelle classe politique dirigeante en Corse s’est ralliée à l’autonomie, pas à l’identité. Elle a fétichisé l’outil et délaissé l’objectif. Edmond Simeoni, épuisé et en sueur alors qu’il se constituait prisonnier au lendemain de la fusillade d’Aleria en 1975 disait lui-même devant les caméras : “Je pense que maintenant, en particulier au niveau des jeunes, un processus d’escalade est engagé. Et qu’il ne faudra pas s’efforcer de continuer à traiter un problème politique de revendication de dignité et d’identité comme un problème économique.” D’aucuns seraient bien avisés de s’en souvenir, et toi le premier !
Ziù Carlinu