Conférence, mémoire et hommage à Bustanicu

Nous étions nombreux présents sur le parvis de l’église paroissiale San Cisariu, à Bustanicu, dans cette antique pieve du Boziu, foyer des grandes révolutions de 1358 et 1729. Bustanichesi, Alandesi, Sermanaccii, amis du Boziu et membres de Palatinu, une assistance nombreuse originaire des quatre coins de la Corse s’était réunie autour de valeurs fortes et d’un intérêt certain pour l’histoire de nos ancêtres. Alors que M. Jean-Pierre Poli, auteur connu et estimé, arrivait tout droit de son village de Speloncatu, la petite centaine que nous étions lui emboîta le pas afin d’entendre ce qu’il avait à nous dire au sujet des paolistes du Boziu déportés au bagne de Toulon en 1774 mais aussi, à travers eux, sur ce que furent ces Corses qui nous précédèrent dans le temps, leur foi en Dieu, en Paoli, en la Liberté et la détermination dont ils firent preuve au service du bien public. 

À l’occasion d’une brève introduction et de la présentation de notre organisation devant une église comble, Nicolas Battini, notre président, rappela « la nécessité de battre en brèche une certaine historiographie développée ces cinquante dernières années qui présente les Corses comme des colonisés, comme des victimes de l’Histoire tandis qu’ils furent tout le contraire, nos ancêtres n’ayant jamais manqué une occasion de faire preuve de courage, d’honneur et de détermination, dans la pure tradition latine de notre pays », avant que de laisser la parole à notre conférencier.

Ceci ne se fit pas sans évoquer le caractère mémoriel de l’évènement, M. Battini énumérant la liste connue des déportés buzinchi devant un public constitué pour un bon tiers de leurs descendants en ligne directe. Un moment particulièrement émouvant qui s’apparenta sous bien des aspects à un hommage des fils aux pères. Ce bref instant d’hommage introduisit une conférence qui débuta ainsi sous les auspices d’une ferme volonté de dépoussiérer l’histoire de la Corse, de proposer une autre lecture historiographique basée sur des éléments factuels et avérés plutôt que sur des postulats idéologiques. Jean-Pierre Poli entama le déroulé de son propos en apportant quelques nuances, pour ne pas dire quelques contradictions, au récit d’un Pasquale Paoli des Lumières.

M. Poli, habité par le récit qu’il fit devant un public conquis et captivé, rappela que la révolution corse fut une révolution menée par des hommes profondément chrétiens, en témoigne la Giustificazione de l’Abbé Salvini qui est rédigée dans le but de légitimer le combat des révolutionnaires corses auprès de l’Eglise en argumentant que leur révolte est juste aux yeux de Dieu. Car si Paoli fut un défenseur de la Liberté, et en particulier de la liberté des Corses, son combat et sa pensée toute entière s’articulèrent sur une idéologie classique, traditionnelle, tournée vers le christianisme tout en intégrant le refus de l’absolutisme et de la tyrannie.

Une lecture passionnante que nous proposa M. Poli, à savoir que le monde des idées ne se scinde pas seulement entre Modernes et Classiques, en ce qu’il existe également au sein des partisans de la Tradition, au nombre desquels comptait Paoli, une opposition autour de la question du droit divin et des libertés publiques. Il n’y avait pas d’un côté les tenants de l’Ancien Régime et de l’autre ceux de la Révolution et des Lumières. Non. Pasquale Paoli était catholique, thomiste, traditionnel, opposé à l’exécution de Louis XVI, favorable à la monarchie, certes, mais invariablement opposé à la tyrannie et à l’arbitraire du pouvoir absolu tout en étant un implacable chef de guerre, impitoyable avec ses ennemis. Du moins, sans trahir le propos de notre invité, telle fut l’idée que nous en retînmes.

Notre conférencier s’attarda également sur la féroce résistance qui se maintint malgré la défaite de Ponte Novu, là où les pères des pères de nos pères perdirent définitivement la guerre face aux armées de Louis XV. Alors que Pasquale Paoli gagnait l’Angleterre en 1769, survécut en Corse l’espoir de voir renaître les institutions que quarante ans de combat politique avaient érigées dans la sueur, le sacrifice et le sang. Aussi, M. Poli nous permit de saisir les raisons qui poussèrent les autorités conquérantes d’alors à se saisir en 1774 de tous les proches, parents ou amis, des grandes figures buzinche du paolisme, ce dernier ayant été défait sur les rives du Golu bien que toujours omniprésent dans le jeu politique insulaire, afin de les envoyer mourir dans les obscurs et humides cachots toulonnais.

Au terme de la communication de M. Poli, alors que les applaudissements du public ne s’étaient pas encore tus, des voix du Boziu s’élevèrent près de l’autel en entonnant les Terzetti di Sermanu, composés par le piuvanu Turchini, influent personnage local du XVIIIe lui-même déporté avec une bonne partie de sa famille. Un chant qui évoque et décrit, en toscan, le quotidien des Corses reclus dans la grande tour de Toulon.

Carissimo cugino fido è amato
Questo piccolo foglio legerai
E senterai il mio miserio stato.

Si passa malamente la giornata
Molto più quando vene la sera
Chì la luce del sole vene oscurata.

Si passa la nottata oscura e nera
Senza lume perchè non è cuncesso
Come se fossi una selvaggia fera.

Sono stato ridutto in così bassa stima
Ch'eo mi vergogno dei mei propii pani
Come quell'animale chiamato scimia.

In ogni muraglia si forma una spiscina
Ogni parte produce un largo fiume
Per mio turmento e mia maggior ruina.

C’est dans la salle des fêtes communale que nous achevâmes cette belle journée de recueillement, de mémoire et de partage, alors que nombre de buzinchi félicitaient les organisateurs présents pour cette belle démonstration etnico-culturelle, beaucoup d’entre eux faisant le choix d’adhérer à notre structure, enthousiastes à l’idée de poursuivre ensemble notre combat pour la défense de notre histoire, de nos valeurs et de notre identité.

IN MIMORIA DI I PAOLISTI BUZINCHI DI 1774
AD AUGUSTA PER ANGUSTA

BATTINI Paulu Santu, 17 anni.
BATTINI Petru Maria, 42 anni.
BATTINI Luiggi, 27 anni.
FALCONETTI Francescu Ghjuvanni, 17 anni.
FALCONETTI Clemente, 18 anni.
PARIGI Ghjuvan Paulu, 50 anni.
PARIGI Benedettu, 36 anni.
PARIGI Antone Battista, 40 anni.
PERETTI Filippu, 59 anni.
SANTINI Francescantone, 40 anni.
SANTINI Carlu Petru, 46 anni.
SERGENTINI Paulu, 26 anni.
SILVANI Ghjiseppu Maria, 45 anni.
TADDEI Vincente, 44 anni.
TIBERI Ghjuvan Filippu, 50 anni.
TIBERI Simone, 34 anni.
TURCHINI Marcu Ghjuvanni, 49 anni.
TURCHINI Francescu Maria, 52 anni.
TURCHINI Don Marcandria, 18 anni.
TURCHINI Ghjuvan Benedettu, 24 anni.
TURCHINI Paulu Matteu, 17 anni.
TURCHINI Don Matteu, 20 anni.
ZUCCARELLI Ghjiseppu, 26 anni.
ZUCCARELLI Bertulumeu, 33 anni.

A Redazzione

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