Le XIXe siècle fut pour la France une période prépondérante dans la colonisation des territoires ultramarins. Dans une perspective d’expansion économique, de rayonnement mondial et de présence militaire stratégique, elle se démarquait dans la prise de possession de territoires reculés qui allaient constituer ses subdivisions à travers le monde, afin de représenter la puissance de l’Empire.
Dans cette entreprise coloniale, il n’est plus à démontrer que les Corses ont eu une place conséquente.
La Corse est étouffée par les taxes douanières dans le sens de l’exportation et est constamment devancée dans ses tentatives de commerces de produits agricoles par d’autres régions proposant des prix plus attractifs.
La Corse du XIXe siècle fait face, quant à elle, à de nombreux problèmes socio-économiques.
L’île est à l’abandon et le retour de Louis Napoléon Bonaparte en 1851 ne va que partiellement aider les insulaires dans leur vie quotidienne.
Et bien que les projets soient nombreux et intéressants, les résultats concrets sont assez faibles. En effet, hormis quelques tentatives, telles que l’expansion des plantations d’oliviers en Balagne, l’agriculture y reste vivrière et donc insuffisante pour développer l’île durablement.
La Corse est étouffée par les taxes douanières dans le sens de l’exportation et est constamment devancée dans ses tentatives de commerces de produits agricoles par d’autres régions proposant des prix plus attractifs. L’industrie y est presque inexistante, et on importe du continent pratiquement tous les objets nécessaires à la vie courante, que l’artisanat local ne couvre pas.
Alors qu’au XIXe siècle la Corse traverse des instants difficiles sur le plan socio-économique, l’entreprise coloniale française prend tout son essor avec une assurance grandissante. Certainement trop occupée par ses ambitions d’extension, la France en oublie d’établir en Corse une véritable politique de mise en valeur agricole et surtout de poser, çà et là, les principes de l’industrie et d’y encourager le développement.
L’État, en pleine euphorie colonisatrice, s’étend sur le monde entier avec la certitude qu’un jour la France sera la plus grande puissance mondiale. Les prises de possessions sont successives et on vit le planisphère se teinter de bleu à mesure des annexions.
Bien que l’Empire colonial existât longtemps avant cette période, c’est bien au XIXe siècle que ce phénomène prit toute son envergure.
La mauvaise santé économique de la Corse, implique une ambivalence des sentiments d’inexorable abandon de l’île et l’espoir d’une vie meilleure dans les colonies, entre passivité et recherche d’une vie meilleure.
À la fois victimes et acteurs, les insulaires vont avoir une place importante sur l’échiquier de la colonisation.
La Corse du XIXe siècle se caractérise par des difficultés socio-économiques très marquées. Cependant la population corse ne cesse de croître jusqu’à la fin de ce siècle, atteignant le nombre de 300 000 habitants. Cette croissance s’opère sur un terreau économique traditionnel à base de polyculture, d’élevage et d’artisanat. De ce fait, la concurrence des produits agricoles, puis, artisanaux, enfin industriels, n’a cessé de peser directement sur les capacités potentielles de l’île et d’en étouffer l’essor.
Clémenceau écrira au sujet de la Corse en 1908 dans un rapport officiel un constat accablant pour l’île :
« La pauvreté du pays est extrême. Ni la Bretagne, ni les Hautes-Alpes, ni peut-être aucun pays d’Europe ne peuvent donner une idée de la misère et du dénuement actuel de la Corse… En Corse, il n’y a ni industrie, ni commerce, ni agriculture… »
En Corse à cette époque, seules quelques industries existent, des filatures de soie, l’huilerie de Bastia, les hauts fourneaux de Toga et de Solenzara en Haute-Corse. Insuffisante et peu pérenne, cette situation est loin d’égaler l’explosion industrielle que connaît le continent ainsi qu’une partie de l’Europe occidentale à la même époque. Le minerai peu quantitatif et qualitatif existait et était exploité à une moindre mesure. Nous retiendrons l’expérience de l’usine de cuivre de Ponte-Leccia qui n’a duré que deux à trois ans. Quelques expériences sidérurgiques avec le minerai de fer de l’île d’Elbe ont aussi pu voir le jour. Ainsi, l’apogée industrielle fut atteinte avec une production totale 14 000 tonnes de fonte sur les trois pôles de Toga, Solenzara et Porto.
Mais la concurrence est bien trop rude, asphyxiées par les taxes douanières, ces usines sont contraintes de fermer leurs portes.
En 1800, il n’y avait encore aucune route carrossable. Ainsi, pour parcourir le trajet de Bastia à Ajaccio il fallait entre 10 et 14 heures à cheval.
Les problèmes industriels n’expliquent pas à eux seuls la chute économique de l’île. En effet, l’épidémie de malaria fit bon nombre de victimes, d’une part, et empêcha un développement littoral, d’autre part. Face à ce fléau, les pouvoirs publics de l’époque ont laissé les choses se dégrader sans pour autant mettre en place le fameux plan Terrier datant du XVIIIe siècle qui avait vocation à rendre les zones côtières paludéennes cultivables en vue de multiplier le revenu de la région en rapportant à l’État plus de 10 millions de livres, et porter la population à 590 000 habitants en un temps très restreint, puis à 1 million par la suite.
Cette zone très fertile dû attendre les techniques américaines d’éradication pour voir le problème se régler. L’agriculture se développa peu à peu avec la culture céréalière du blé et de l’orge, mais bien que de nombreuses surfaces de terres furent défrichées, le recours au continent pour l’importation de céréales va s’avérer nécessaire, car la production n’est pas suffisante eu égard aux terrains montagneux qui n’offrent qu’un très faible rendement.
La concurrence devint trop asphyxiante et la culture céréalière fut abandonnée. Parallèlement, la vigne rapportait des fonds avec ses 20 000 hectares de culture, mais elle subit les attaques du phylloxéra dont de nombreuses exploitations ne se relevèrent pas. On passa à une idée de spéculation de la forêt, avec l’institution de la vaine pâture, qui institue la mort de toute bête qui divague. Les exploitants les plus faibles sont acculés à la faillite.
En partant, ils savent qu’ils se réservent un bien meilleur avenir, pour eux-mêmes et leur descendance, et qu’ils pourront pallier le manque de ressources de ceux qui sont restés au pays en envoyant régulièrement une partie de leurs revenus.
La grande réalisation de l’époque fut le chemin de fer dont la construction commença le 7 décembre 1883, sa réalisation fut très lente et le train ne relia Bastia à Ajaccio qu’en 1894 et n’atteindra Ghisonaccia qu’en 1913.
En 1800, il n’y avait encore aucune route carrossable. Ainsi, pour parcourir le trajet de Bastia à Ajaccio il fallait entre 10 et 14 heures à cheval. Le chemin de fer a beaucoup œuvré pour le désenclavement de la Corse permettant des échanges essentiels, ce qui aurait pu être constitutif d’un superbe élan si l’économie n’était pas déjà effondrée. Cette construction constitua un véritable exploit technique avec cent soixante kilomètres de chemin de fer, une centaine de tunnels et des ponts remarquables.
Sous le Second Empire, arrivèrent ensuite les bateaux à vapeur (compagnie Gérard de Toulon). Les frères Valeri de Brando furent les instigateurs de la mise en place de la flotte à vapeur locale. Cette entreprise devint alors une des toutes premières dans son domaine, exemple unique et éphémère dans l’histoire économique de la Corse.
Ce désenclavement eut malgré tout des conséquences plutôt bénéfiques pour les villes Bastia et Ajaccio, mais point pour l’intérieur.
Ainsi, l’émigration corse doit se percevoir comme une fuite en avant ayant pour but de pallier l’échec économique qui met ainsi directement en cause la santé de l’île. La Corse devint une terre non protégée, livrée à un mode de concurrence déloyale et où aucun avenir ne s’offrait aux jeunes insulaires assoiffés de réussite et d’ascension sociales.
À ce sujet, Francis Pomponi posera un regard juste et synthétique sur la situation insulaire de l’époque à travers ces quelques lignes : « Sur le plan strictement économique, on sait que l’élargissement des marchés, la concurrence des pays neufs, la chute des prix et les disparités de développement entre régions ont compromis le fragile équilibre de l’économie corse. Difficultés matérielles, misère et forte poussée d’émigration en ont été les principales conséquences. Les Corses fuient devant des conditions de vie trop difficiles, tentés par l’espoir d’un sort meilleur sur le continent ou aux colonies, dans la fonction publique ou dans l’armée. “
Ainsi compte tenu de cette économie très préoccupante et peu valorisée, l’expatriation devient donc une solution envisageable pour de nombreux Corses. En partant, ils savent qu’ils se réservent un bien meilleur avenir, pour eux-mêmes et leur descendance, et qu’ils pourront pallier le manque de ressources de ceux qui sont restés au pays en envoyant régulièrement une partie de leurs revenus. Ainsi, la concordance entre la volonté nationale de présence française à travers le monde et le nécessaire exil économique au plan régional destine les Corses expatriés à devenir des piliers de la colonisation française.
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Arduinna DUPAYS-CICCOLI