LE TEMPS DES CRISES (1947-1953)
De mars 1946 à mai 1947, le résident français est le général Labonne. Sous la résidence de ce général Labonne, il va y avoir une libéralisation du protectorat, notamment avec la libération des prisonniers de l’Istiqlal qui étaient en prison pour « intelligence avec l’ennemi ». Mais encore une fois cela ne va pas suffire, les nationalistes marocains et le Sultan ne veulent pas d’une libéralisation du protectorat mais l’indépendance. Le général Labonne va être rappelé en France à la suite du discours du Sultan à Tanger, le 10 avril 1947, soit trois jours après que des tirailleurs sénégalais aient tiré sur la foule faisant plusieurs centaines de morts. Dans ce discours, inspiré par le Général Labonne, le monarque aborde l’avenir de son pays, un avenir sans la France, il n’utilise pas le mot indépendance pour ne pas froisser la puissance coloniale mais le message est très clair : « Le Maroc désire ardemment acquérir ses droits entiers. Le peuple qui s’éveille enfin prend conscience de ses droits et suit le chemin le plus efficace pour reprendre son rang parmi les peuples ». Dans son discours le Sultan du Maroc va également s’appuyer sur le soutien des États-Unis, malgré le fait qu’ils n’ont pas tenu leur promesse faite à la conférence d’Anfa de rendre l’indépendance au Maroc, et enfin le Sultan développe une pensée panarabiste, très en vogue à cette époque : « Il va sans dire que le Maroc, étant un pays attaché par des liens solides aux pays arabes d’Orient, désire naturellement que ces liens se raffermissent de plus en plus, surtout depuis que la Ligue Arabe est devenue un organisme important qui joue un grand rôle dans la politique mondiale.[…] Les pays arabes ne forment qu’une seule Nation : que ce soit Tanger ou à Damas, cela ne fait qu’une. J’éprouve beaucoup d’estime et de respect pour les services rendus par la République américaine aux pays arabes, et notamment pour sa participation à la délivrance de l’oppression. ».
La France ne peut accepter ce discours, elle va alors rapatrier le Général Labonne et envoyer à sa place le Général Juin en mai 1947, et avec lui l’envoi d’un renforcement militaire. Ce dernier va effectuer une politique beaucoup plus dure vis-à-vis du Sultan qui va, pour essayer de sortir de la pression de Juin, tenter de passer directement par Paris en décembre 1947, et aussi une seconde fois en octobre 1951. Le résident Juin veut mettre en place une co-souveraineté franco-chérifienne, ce qui est contraire au traité de Fès de 1912. Cette politique est contraire à la politique de Lyautey en 1912, avec Juin on passe d’un statut de pays protégé ayant vocation à une indépendance prochaine à celui d’un Etat intégré plus ou moins étroitement à l’union française. C’est, d’une certaine manière, une volonté d’algérianisation du Maroc. C’est de cette politique maladroite et brutale que va naître la crise franco-marocaine qui va voir l’exil de Sidi Mohammed en Corse.
En effet, en réponse à cette politique, le Sultan va débuter une grève du sceau, c’est-à-dire qu’il refuse de transformer les écritures protectorales en dahir, chose pourtant essentielle pour l’administration coloniale. La France va alors forcer le Sultan à utiliser son sceau en s’appuyant sur un homme fort du Maroc, le Pacha de Marrakech Thami El Glaoui qui envoie des milliers de cavaliers des tribus vers Fès et Rabat, la logistique en vivre et en fourrage est offerte par la résidence coloniale. De peur de perdre son pouvoir à cause de cette conspiration Sidi Mohammed va accepter de signer ce dahir, mais il reprend sa grève du sceau directement après. Si la France lâche la pression à la suite de la signature du Sultan, le Pacha de Marrakech lui veut toujours destituer le Sultan en s’appuyant sur le nouveau résident le Général Guillaume, mis en place par Juin.
Si la situation est tendue, rien ne va vraiment évoluer jusqu’au 18 novembre 1952. Ce jour-là se déroule la fête du trône, où le Sultan va se déclarer en faveur de « l’émancipation politique, totale et immédiate du Maroc ». A partir de ce jour, une véritable politique pour destituer le Sultan va être mise en place avec le démantèlement des partis, de la presse et des syndicats par l’autorité coloniale. Ce démantèlement a pour prétexte des émeutes ouvrières de décembre 1952 qui se déclenchent à la suite de l’assassinat d’un syndicaliste tunisien Ferhat Hatched le 5 décembre. Deux jours plus tard l’UGSCM (Union Générale des Syndicats Confédérés du Maroc), le parti communiste marocain et l’Istiqlal appellent à la grève générale. Le 8 décembre il y a de nouvelles manifestations dans les villes du pays, le 10 décembre se déroule une réunion de protestation à la maison des syndicats, Philippe Boniface, alors chef de région, ordonna de faire feu. Il y a aura en tout 34 morts, des centaines de manifestants arrêtés, dont des chefs de l’Istiqlal et du parti communiste ainsi que des pachas et des Caids. Les partis sont donc dissous, notamment l’Istiqlal mouvement nationaliste majoritaire ce qui donne un grand coup au Sultan et à son pouvoir.
Le complot de 1951 va alors se remettre en route. L’administration française va de nouveaux s’appuyer sur des grands notables marocains, le Pacha de Marrakech mais aussi les chefs des confréries religieuse méfiants vis-à-vis du Sultan et rassemblés autour du Zaouia Abdelhaj El Kettani. Le 26 février 1953, Thami El Glaoui et une vingtaine de Caids accusant le Sultan de « mener le Maroc à sa perte en s’inféodant aux partis extrémistes illégaux ». Au mois de mai, la pétition a plus de 300 signatures, Thami el Glaoui alors en visite en France déclare : « Pour les représentants qualifiés du Maroc et pour moi-même, le sultan est déchu ».
Le gouvernement français, dépassé par les évènements, va convoquer le général Guillaume à Paris pour essayer de trouver une solution. Ce dernier expose le 12 aout à Joseph Laniel, président du Conseil, les quelques solutions possibles. La première consiste à laisser le Pacha de Marrakech prendre le palais et éliminer le Sultan. La deuxième à l’inverse est de tirer sur les hommes de El Glaoui ce qui renforcera le pouvoir du Sultan. Enfin la dernière solution présentée, et celle qui sera finalement choisie, est d’exiler le Sultan. Le 13 aout 1953, ils firent signer les dahir que le Sultan refusait de signer de son sceau. Le lendemain, une assemblée de notables à Marrakech destitue le Sultan de son rang d’Imam, elle proclame à sa place son cousin Mohammed Ben Arafa. Des troubles contre cette destitution éclatent dans tout le pays, mais les complotistes avancent jusqu’à Rabat.
Le 20 août 1953, le Sultan est exilé en direction de la Corse. La déposition et la mise en exil de ce dernier crée des divergences au sein même du gouvernement français, la démission de François Mitterrand alors ministre au Conseil de l’Europe en est une preuve. Le général Guillaume, dit que la déposition et l’exil de Sidi Mohammed Ben Youssef ont mis fin à la crise la plus importante depuis 1912. Pour lui cette crise est due aux « Irréductibles divergences de sentiments et d’intérêts qui divisaient l’Empire Chérifien en deux blocs hostiles » « d’un côté, un souverain théocratique et un parti d’inspiration orientale et d’organisation totalitaire, dont le dessein était d’instaurer sur le pays un « national-monarchisme » autoritaire et xénophobe » et « de l’autre, des chefs traditionnels, temporels et religieux, fier et jaloux de leurs qualités « d’hommes libres » Hostiles par tradition et par tempérament à toute forme de pouvoir centralisé et, à fortiori, dictatoriale » (dépêche n° 2469, de Rabat, 23 octobre 1953).
LE FEUILLETON DE L'EXIL CORSE À TRAVERS LA PRESSE
Comme nous venons de le voir, le Sultan du Maroc est exilé en catastrophe le 20 aout 1953. Celui est donc envoyé en Corse où il séjournera jusqu’au 25 janvier 1954 avant de poursuivre son exil à Madagascar. La presse, essentiellement locale, va évidemment se nourrir de cet exil.
Dans cette presse locale, la situation du Maroc, que cela soit avant, pendant ou après l’exil, est souvent évoquée comme sont évoquées les situations dans les autres colonies ou encore les événements internationaux dans le contexte de la Guerre Froide. Durant l’exil du Sultan en Corse, il y a un contraste entre les articles évoquant la situation au Maroc, avec de nombreux attentats décrits, la destitution va en effet se retourner contre le protectorat français qui va connaitre deux ans de violence avec plus de 6000 attentats, et ceux parlant de l’ex-Sultan, qui vont être des articles beaucoup plus léger. Nous allons ici traiter essentiellement des articles sur l’ex-sultan en Corse, le feuilleton de son exil d’une certaine manière.
Le Sultan arrive donc le 20 août 1953 dans la nuit. Évidemment le lendemain son arrivée est présente dans toute la presse. L’article du Nice Matin du 21 août 1953 nous apprend que la nouvelle du départ du Sultan pour la Corse est arrivée par la radio, qu’à 18h30 le préfet a tenu une conférence avec les chefs de service, de la police et de l’armée pour prendre les mesures d’ordre. L’article nous apprend ensuite que l’avion, un « C-47 » a atterri à 22h07 et qu’immédiatement après l’atterrissage le maire d’Ajaccio, M. Magliori est monté dans l’avion pour saluer le Sultan et lui souhaiter la bienvenue au nom de la ville. Après cela le Sultan s’est dirigé vers la préfecture où « une foule considérable » l’attendait. Si cet article nous dit que la nouvelle est arrivée par radio le jour même, un autre article de La Marseillaise, datant du 22 aout, nous informe de la situation d’Ajaccio trois jours avant l’arrivée de Sidi Mohammed Ben Youssef. Cet article nous indique que trois jours avant de nombreuses forces de gendarmerie et de police avaient été envoyées à Ajaccio des autres points de l’île, pour le journaliste « La préméditation du Gouvernement quant au coup de force qu’il a accompli au Maroc est donc indubitable. ».
À partir de son arrivée et jusqu’à son départ des articles sur le Sultan vont paraître de manière presque quotidienne, même si avec le temps ils vont diminuer. Les premiers jours, lorsque le Sultan est au palais Lantivy, c’est un véritable phénomène médiatique comme le montre le titre d’un article du Nice Matin du 31 août « Quand les reporters assiègent le palais Lantivy ». Cet article nous dit que les reporters sont à la recherche d’informations sur l’ex-sultan et sa famille depuis son arrivée, mais que la chose est très complexe car le préfet a donné comme consignes à ses hôtes de demeurer invisibles. En effet, même les photographes « les plus intrépides », sont restés 5 jours sur le toit de la maison Poupard, d’où ils tenaient le jardin de la préfecture à portée d’objectif, n’ont aperçu personne, à part le fort déploiement de sécurité autour du bâtiment. Le journaliste termine son article en disant « Il serait souhaitable que, sans nuire à la raison d’Etat, deux ou trois clichés et une déclaration qui pourrait rien ne vouloir dire, soient donnés en pâture à la presse française. ». Le journaliste parle là d’une autre déclaration car le préfet a déjà réalisé une conférence de presse le 24 aout. En effet, dans le Nice Matin du 25 aout un article « Non, l’ex-Sultan du Maroc n’est pas prisonnier à Ajaccio », parle de cette conférence de presse organisé par le préfet pour mettre au clair que le Sultan n’est pas prisonnier. Un article du même jour parut dans La Marseillaise « Le Sultan est toujours prisonnier au Palais Lantivy » est lui d’un autre avis. Dans l’article le journaliste dit que le Sultan est enfermé dans le bâtiment de la préfecture transformé en prison « bourré de gendarmes et policiers avec une seule entrée », il parle ensuite de démocrates marocains, déportés depuis plusieurs mois à Ajaccio, surveillés et devant se rendre à la gendarmerie deux fois par jour.
Après la première semaine d’Exil dans le palais Lantivy va se poser la question de la véritable résidence de l’ex-Sultan, ne pouvant rester indéfiniment à la préfecture, de nombreuses propositions de locations ou d’achats de châteaux vont arriver à la préfecture de toute la France de la part de particuliers. Ces propositions vont continuer tout au long de l’exil de Sidi Mohammed de 1953 à 1955. La presse va alors lancer plusieurs suppositions de résidences, assez grandes pour accueillir le roi et toute son escorte (23 concubines, 3 femmes, 2 fils et 4 filles). À cette époque La Marseillaise, le 28 août 1953, parle du château de Malaspina à Belgodère, avec une trentaine de chambres, une magnifique bibliothèque et un parc. Le Journal de la Corse le 25 août 1953, après avoir évoqué l’arrivé des trois épouses et quatre filles du Sultan le samedi 22 août dans la nuit et la foule encore une fois nombreuse, parle d’un transfert du Sultan au château de la Punta. Enfin le 29 août, si la radio à ce jour dira que le Sultan et sa famille résideraient définitivement dans l’île, un article du Nice Matin dit que le Sultan va résider à Zonza dans un premier temps puis dans une ville universitaire dans un second temps, pour que les enfants de Sidi Mohammed puissent continuer leur étude. Comme l’indique tous les journaux locaux, le Sultan et son escorte quitte donc la préfecture d’Ajaccio le 5 septembre au petit matin à 5 heures, pour le Mouflon d’Or à Zonza où les pensionnaires ont été licenciés et dont des techniciens, des ouvriers ainsi que des gendarmes ont visité les locaux selon le Nice Matin du 5 septembre. Tout le convois et les horaires de départ et d’arrivées sont décrits à la perfection dans l’article du Journal de la Corse du 6-7 septembre « L’ex-Sultan du Maroc a rejoint sa nouvelle résidence », est également noté les frais, 1.600.000 francs par mois, pour la location de l’hôtel, du personnel de la nourriture, réalisée par l’équipe de l’hôtel le Crillon à Paris, et de l’entretiens. Le séjour serait court, 45 jours maximum, avant d’aller soit à Calvi, soit à Ile Rousse ou encore à Ajaccio.
L’ex-Sultan va passer un peu plus d’un mois à Zonza. Alors que cela fait plus de deux semaines que le monarque est en Corse il reste un phénomène médiatique comme le montre un article du Nice Matin du 2 octobre, donc un mois après son arrivée à Zonza. Cet article montre que les envoyés spéciaux n’ayant pas pu avoir d’information sur le Sultan ont abandonné, mais que la presse locale est, elle, toujours là, le journaliste écrit : « Nos lecteurs ne cessent point de réclamer des nouvelles de Zonza ». Il y a là un coté « presse people » très marqué. L’article communique des informations futiles, le Sultan se plaignant du chauffage, ayant demandé des cadenas pour fermer les portes où encore son fils Hassan ayant cassé la machine à écrire de la propriétaire des lieux Mlle Trapenard, qui se plaint de la situation pas claire dans le contrat.
Heureusement pour elle, le Sultan va être déplacé pour l’hiver, il risquerait de faire trop froid à Zonza. Ile Rousse est retenu comme destination possible, l’hôtel Continental à Ajaccio aussi. Le 21 octobre 1953, un article du Nice Matin « L’ex-Sultan du Maroc à l’Ile Rousse ? », émet l’hypothèse que le Sultan du Maroc serait déplacé à Ile Rousse car un Navire, le « Cyrnos », serait arrivé le dimanche d’avant avec 115 passagers et 110 tonnes de marchandises. Dans ses passagers il y a une partie du personnel de l’hôtel, il y a également, au même moment des préparations d’aménagement de l’hôtel qui corrobore avec la théorie. Un autre article du Nice Matin, parlant du potentiel déplacement du Sultan à Ile Rousse, fait le lien avec des députés Malgaches emprisonné à Calvi, le journaliste n’a pas des mots tendre envers le Sultan « De sa prison dorée, Ben Youssef aura la faculté de méditer sur les inconvénients de la perte de mémoire en termes de fidélité ». Ce journaliste a vraiment une opinion politique marqué sur la question comme le montre la suite de son article où il fait le lien, qui est souvent fait durant l’exil Corse, entre le Sultan et Davia de Corbara, sultane du Maroc, avec ces mots « l’amitié et l’union des peuples marocains et français, amitié profonde que ne devraient en aucun cas ternir les sournoises manœuvres de certains « nationalistes » ». Le même journaliste écrira le 4 novembre 1953 dans le Nice Matin « Que va devenir Ben Youssef ? » posant la question de la loyauté et du non-jugement de Sidi Mohammed Ben Youssef. Il pose également la question du prix de son exil « Et puis, qui paie les frais de cette prison dorée ? est-ce encore le Peuple de France ? ». Cela est à lier à une politique française plus globale avec une campagne de presse surévaluant le train de vie du Sultan.
En dehors de ces deux articles assez politique, si on peut le dire comme cela, la période du Sultan à Ile Rousse est seulement marquée de quelques articles « people », comme Le Petit Bastiais qui nous dit que les filles du Sultan sont sorties de l’hôtel se promener dans la ville, habillées à l’européenne avant de se diriger à Calvi dans un cabaret. Ou encore Le Journal de la Corse qui le 30 octobre remarque une véritable animation dans les établissements publics « inaccoutumée en cette saison », avec le contraste du halo lumineux autour de l’hôtel Napoléon où séjourne le Sultan. Pourtant c’est une période où la sécurité du Sultan est en jeu. En effet, les autorités française s’inquiète pour le Sultan pour plusieurs raisons. Tout d’abords ces autorités se rendent compte que le maintien de l’ex-Sultan à proximité de l’Afrique Nord fait que le mouvement de contestation persiste, c’est une zone d’influence des autorités espagnoles, accessible par la radio espagnole ainsi que par des partisans de l’Istiqlal. Un télégramme diplomatique de 1953 montre également des activités communistes sur l’île favorable à l’indépendance du Maroc. Juste après son arrivée Le Petit Bastiais nous indique que le parti communiste corse a fait circuler un tract « coup de force au Maroc » dans lequel le gouvernement français est accusé d’avoir assumé une « lourde responsabilité en destituant le Sultan ». Il y a également une dépêche secrète, novembre 1953, de l’Etat Major du ministère de la défense nationale et des forces armées, qui évoque un projet d’enlèvement du Sultan par la ligue arabe. La localisation à Ile Rousse rendant possible une intervention en Bateau comme en Hélicoptère. En décembre, des informations indiquent que l’Espagne, qui ne reconnait pas le Sultan Ben Arafa, remplaçant de Ben Youssef, soutiendrait ce projet d’enlèvement. La presse italienne rajoute à ce Projet la « Main Noire » d’El Fassi. Il est avancée la nuit de noël comme date de l’enlèvement. En réponse à cela la garde du Sultan va être fortement renforcée, avec notamment un bateau au large d’Ile Rousse, jusqu’à son départ de Corse le 25 janvier 1954 au matin, de l’aéroport de Poretta.
CONCLUSION
Si le Royaume du Maroc est perçu comme l’État arabe le plus proche de l’Occident, géographiquement et politiquement, en plus de cela il est l’un des seuls pôles stables du monde arabe, c’est pour cette raison qu’il reçut beaucoup d’aide et du soutien de la part des pays occidentaux tout au long de la guerre froide. Mais nous avons vu que le Maroc connait également des périodes de crises, ici notamment dues à une non-compréhension par les gouvernements français successifs et la politique agressive du Général Juin. Cette grande crise va avoir comme conséquence l’exil du Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef en Corse dans un premier temps puis à Madagascar ensuite. Le Sultan en Corse fut un véritable phénomène médiatique.
En prenant un peu de recul, et comme dit dans l’introduction, l’exil de Sidi Mohammed Ben Youssef n’a rien de singulier, et il aurait pu partager son exil en Corse avec Habib Bourguiba. En effet, alors que ce dernier est exilé sur l’ile de la Gallite, nord de la Tunisie, depuis 1952, Pierre Voizard résident en Tunisie veut briser l’image du « combattant suprême souffrant le martyre sur son îlot insalubre » et pour cela il veut le déplacer sur un territoire français, il pense alors à la Corse. Il écrit dans un télégramme diplomatique le 14 janvier 1954 « On ne devrait pas écarter a priori le département de la Corse qui , en raison de sa situation insulaire, est d’une surveillance beaucoup plus aisée . Je reconnais que la présence simultanée, dans l’île de Beauté, de l’Ex-Sultan du Maroc et du leader nationaliste tunisien pourra donner lieu à des commentaires, au début tout au moins, gênants. Mais la portée des avantages de l’opération dépasse celle des inconvénients […] En tout état de cause le choix d’une petite localité éloignée de la région de l’Ile Rousse, Bonifacio, par exemple, ou ses environs, donnerait apaisement du point de vue de l’interdiction de certains contacts évidemment inadmissibles ». Le 17 janvier, soit 3 jours plus tard il ajoute dans un télégramme l’argument du climat pour renforcer sa proposition de la Corse. Cela ne se fera pas, Habib Bourguiba partant pour l’île de la Groix en Bretagne, pour le malheur de la presse insulaire et de ses clients friands d’anecdotes.
Pierre-François Marchiani
Bibliographie :
Becker, Jean-Jacques. Histoire politique de la France depuis 1945. 11e éd. Cursus. Paris: Armand Colin, 2015.
Dalle, Ignace. Maroc. Les guides de l’état du monde. Paris: la Découverte, 2007.
Garan, Frédéric. « Ranavalona III et Mohammed Ben Youssef : deux exils en effet de miroir dans l’Empire colonial français ». Viaggiatori 1, no 2 (2 mars 2018): 242-314. https://doi.org/10.26337/2532-7623/GARAN.
Hatzenberger, Antoine. Les insulés: exilés politiques en Corse. Paris: Riveneuve, 2020.
Vermeren, Pierre. Histoire du Maroc depuis l’indépendance. 4e éd. Repères 346. Paris: la Découverte, 2016.
Nice-Matin, juillet 1953-juin 1954, archive Ajaccio
La Marseillaise juillet 1953-juin 1954, archive Ajaccio
Le Petit Bastiais juillet 1953-juin 1954, archive Ajaccio
Le Journal de La Corse juillet1953-juin 1954, archive Ajaccio