Pour accompagner l’article de mon camarade Thomas Selvini sur la natalité, je me permet d’approfondir une notion, que la volonté d’exhaustivité du rédacteur l’a obligé à éluder. J’aimerais ainsi approfondir le rapport crucial, peu souvent mis en lumière par la droite de l’échiquier politique, entre le lien social et la natalité.
Une statistique épouvantable était tombée quelques mois après la fin de l’angoissante période de confinement et elle faisait éclater au grand jour l’un des plus dramatiques signes de la dégradation anthropologique de la jeunesse française, et également européenne et occidentale car le phénomène qui va suivre concerne tous les grands pays développés : Selon le sondage Ifop, ” 44 % des jeunes Français âgés d’entre 18 et 25 ans n’ont eu aucun rapport sexuel pendant l’année 2022. »
Bien que le contrecoup du Covid y soit pour beaucoup, celui-ci ayant largement déstabilisé mentalement la jeunesse en détruisant, tout au long d’une trop longue année d’isolement radical, tous les réflexes sociaux qui permettent d’entrer en contact avec l’autre et explorer ainsi les milliers de chaudes nuances que l’humanité crée en se rencontrant elle même, un nombre impressionnant de phénomènes et de tendances modernes creuse la solitude et, du même coup, détruit l’amour. Et alors que celui-ci s’évanouit lentement dans l’obscurité constante engendrée par un monde où les êtres ne se côtoient qu’à peine, ne se parlent plus, ne se touchent plus, ne s’aiment qu’à moitié, la vie elle, qui toujours lui sera liée, plonge dans le même gouffre.
La production contre la procréation
J’aimerais d’abord souligner l’atmosphère mortifère d’un monde où le travail prévaut sur le lien humain. Un homme ou une femme, qui porte le joug d’un travail éreintant sa volonté de vivre plus de dix heures par jour, sous le fouet d’un impératif de production intensive ordonné par une société où l’on doit constamment dépasser ses limites afin de combler d’offrandes la nouvelle divinité de la « performance », se retrouve fort dépourvu le soir venu quand il s’agit de regarder au loin, à l’horizon d’un avenir possible où les rires des enfants remplissent les coeurs de douceur et d’espérance. Bien que le travail demeure encore, en 2025, le premier lieu de sociabilisation, le fait que l’humanité travaille toujours davantage la prive du temps de rencontrer d’autres personnes avec lesquelles elle pourrait créer la vie. Évidemment, le travail a toujours été consubstantiel à la vie humaine, la sueur du front et le soc de la charrue ne quittèrent jamais vraiment l’homme, mais à la différence des sociétés pré-industrielles qui savaient ménager du temps, du temps vide attendant d’être comblé par l’éternelle espièglerie de la liberté humaine lors de fêtes, de cérémonies où s’épanouissait la convivialité, notre époque veut faire de l’humain une ressource constamment disponible, constamment vulnérable à un capitalisme déchainé (si tant est qu’il puisse véritablement être autrement qu’ainsi ). Alors que le dimanche devient de moins en moins un jour chômé du fait de la déchristianisation, que les fêtes traditionnelles qui réunissaient tous les membres du grands corps vivant qu’était la société d’alors, sont peu à peu abandonnées pour la seule gloire du « profit » qui occupe toutes les consciences et pousse à ne plus se focaliser sur autre chose, la vie se disperse en des actions solitaires et stériles, ou bien strictement professionnelles.
Le management contemporain a beau s’évertuer, par diverses contorsions et générosités factices, à créer artificiellement du lien social par des happy Hours, des post-work parties, des brunchs et diverses activités extra-professionnelles, il ne tisse pas des liens féconds car, plutôt que de se retirer de la vie des « ressources humaines », pour ne pas dire les humains, il s’infiltre encore plus profondément dans la psyché et la pilote encore davantage. Un After-work ne sert pas à libérer le temps, à lui restituer sa féconde vacance, mais à l’optimiser, c’est à dire le convertir en énergie productrice. Productrice mais pas procréatrice : car procréer, dans l’imaginaire de la société industrielle, signifie perdre du temps et de l’énergie qui aurait pu être dédiés à travailler. Le travail moderne en épuisant et pilotant le temps des individus les prive de relations plus sereines et plus à mêmes de favoriser, d’un point de vue aussi bien physique que psychologique ( une dimension à ne jamais sous-estimer), le fait de fonder une famille.
La technique contre les liens
L’évidence même, unanimement constatée par les personnes de bonne foi, reste que le monstre qui détruit le lien social demeure le progrès technique. Chaque matin nos paupières s’ouvrent sur une société où chaque individu passe entre 5 et 6 heures par jour devant un écran, où des adolescents assis à la table d’un café tapotent frénétiquement, dans un angoissant silence, leur smartphone plutôt que d’apprécier l’humaine compagnie de leur bande d’amis avant de rentrer chez eux et de pouvoir, dans l’intimité d’une chambre isolée des autres membres trop bruyants et trop contraignants de leur famille, “scroller” des heures durants sur divers réseaux sociaux, communiquer à distance avec des dizaines d’amis virtuels , dilapidant leurs âmes dans un flux d’information démesuré qui ravage leur système nerveux et détruit l’authentique désir de faire l’effort réel d’aller vers autrui pour affronter le dangereux mystère qu’il porte en lui. En somme, la technologie transforme des relations autrefois vivantes en relations virtuelles. Or, il n’est guère besoin d’aller plus loin pour comprendre qu’un enfant ne peut naître virtuellement, mais ma pudeur m’empêche de détailler le pourquoi de cette vérité intemporelle… La désincarnation des liens sociaux signifie leur fin. Le fait qu’un individu soit tenté, par un attirail sans précédent d’outils et de machines, de rester chez lui et de se couper de plus en plus du monde n’augure rien de bon pour la vie sociale. Le temps qui autrefois poussait les jeunes gens à sortir durant de longues soirées pour faire des rencontres et finalement faire l’amour, devient du temps donné à Instagram et Pornhub.
Autrefois, dans une époque fort lointaine au point qu’elle semble antique à toute la nouvelle génération, c’est à dire il y a moins d’un siècle, dans les années 30, la technologisation n’avait pas encore totalement détruit le lien social. Couper un arbre nécessitait deux personnes pour tenir la scie et donnait ainsi l’occasion d’un moment convivial où l’ami d’un ami pouvait rencontrer le frère d’un cousin par alliance qui lui même pouvait permettre de faire la connaissance d’une femme etc… tout cela égrénait des rencontres tout au long d’une immense chaîne humaine qui fondait la société d’alors : ces liens que les hommes tissaient entre eux étaient autant de racines de la vie ! Cette émulation permanente de la parole, de l’ingéniosité, des nuances de la vie sociale, s’incarnait parfaitement durant les veillées ( e nostre Veghje ) où toutes les générations se rassemblaient, aussi bien les hommes que les femmes dansaient, chantaient, riaient, autant de contacts et de frottements qui comme les frottements de deux pierres ponces, participaient au jaillissement du feu de la vie. De ce point de vue, il devient aisé de comprendre les histoires d’amour passionnées des sociétés anciennes : une telle force de vie aboutit forcément à la création d’individualités solides, perpétuellement sur les flammes de la vie humaine, et donc embrasées de désir. La vie appelle la vie, dans un noeud de vitalité qui se nourrit lui même : seul l’atomisation de la société par la technique a pu briser ce lien, et l’apparition de la télévision dans les villages corses, aidée par l’exode rural provoqué par l’industrialisation, a suffit pour détruire des millénaires de traditions collectives, réduisant les individus à des monades hypnotisées, étalées de lascivité devant des images produites, non plus par leurs imaginations , mais par la machine.
Le machinisme, c’est à dire le remplacement de l’humain dans les tâches qui étaient traditionnellement celle du corps individuel ou de la vie collective, a agi comme un abrasif inouï qui a lentement, en « libérant » l’homme de la nécessité du travail collectif, réduit ses facultés, sa liberté, son désir de vivre et donc, conséquemment, son désir de procréer. Qui peut nier que donner la vie ne demande pas un grand effort de volonté ? Donner la vie signifie s’exposer au risque qu’elle puisse disparaître et appelle à puiser en soi toutes les forces de l’attention, de l’intelligence, du dévouement et de la foi pour la maintenir et la faire croître sainement. Non pas qu’autrefois les hommes et les femmes rayonnaient tous d’une surhumaine vitalité qui les préservait de leurs craintes, mais une vie plus concrète, moins virtuelle, et donc plus “active”, élevait leur volonté et les rendait plus résistants, plus courageux, donc plus à même de supporter les désastres et les tragédies qui peuvent être liées à la naissance d’un enfant. Et cette force morale pouvait également s’appuyer sur la force morale de toute une communauté, toute une famille demeurée proche, rendue compacte et dense grâce aux liens profonds qui s’étaient noués entre les individus. Lorsque les familles étaient proches, que les maisons familiales accueillaient dix ou quinze individus, l’oeil des grands parents n’était jamais très loin des premiers pas des bambins, ainsi les liens familiaux allégeaient l’oeuvre d’éducation et entretenaient le désir chez les parents de donner encore la vie. Ce noyau de chaleur humaine, même s’il tendait souvent à effacer l’individu en tant que tel en sur l’autel de la communauté, n’en demeurait pas moins extraordinairement puissant pour maintenir la vie et assurer son sempiternel renouveau. Tout cet univers humain se liquéfie aujourd’hui sous l’effet de la croissance incalculable des techniques ; mais si l’empire de la technique s’étend toujours davantage le royaume de l’humanité s’efface car ses sujets deviennent à la fois sourds et muets, l’intellect s’affaiblit, le désir s’amenuit comme si l’humanité était enfermée dans une immense pièce sombre coupée du monde et de sa lumière. Cette pièce nous la connaissons tous : elle porte le nom de Solitude.
Une droite schizophrène
Les récentes élections américaines si elles ont fait souffler sur le monde un grand vent de conservatisme, réveillant les anciens et pieux accent d’un monde plus traditionnel, et donc en faveur de la vie contre une déconstruction mortifère, ont également fait exulter les identitaires technophiles qui ont vu, dans la figure d’Elon Musk, le messie d’une sorte d’archéo-futurisme, une sorte de saint ou de prophète d’un monde qui cultiverait à la fois le progrès technique et les valeurs traditionnelles favorisant la procréation et donc la vie.
Le natalisme que prône la droite, bien seule à le prôner étant donné que la gauche, féministe, considère toute politique nataliste comme l’embrigadement totalitaire des femmes réduites à des ventres et privées de toute liberté, ce natalisme pensé comme une façon de ne plus dépendre de l’immigration pour le renouvellement démographique rentre selon moi en totale contradiction avec une société où la technologie tend à prendre toujours plus de place. Une extension de la technologie coïncidera selon moi avec une atomisation toujours plus grande de la société, une dégradation toujours plus avancée du lien social et donc de la proximité des êtres humains, condition nécéssaire pour que s’épanouisse la vie et plus encore, le désir de vie. Il suffit d’observer les années 2010 et l’explosion du nombre de célibataire due à l’isolement des individus dans leur confort technologique pour s’en persuader. Qu’adviendra-t-il lorsque, par la virtualisation des emplois et l’explosion du télétravail, le travail n’assurera même plus sa mince fonction de liaison entre les êtres humains ? Qu’adviendra-t-il du lien social quand des Intelligences Artificielles surpuissantes pourront analyser avec une précision incalculable les stimulis dopaminiques des individus pour leur offrir une infinités de séries générés sur mesure et contenter leurs désirs ? Qu’adviendra-t-il du lien social si les machines peuvent donner aux humains plus que les humains eux-mêmes, entraînant par la même la démoralisation de ces derniers, remplacés, réduits à une passivité fondamentale ? Qu’adviendra-t-il du lien social quand il n’y aura plus de fécondation naturelle mais uniquement des fécondations par cellule souche dans d’immenses laboratoires et que l’acte d’amour n’aura même plus le privilège de jouir, symboliquement, du pouvoir divin de “donner la vie” ?
Je pense qu’entre l’idolâtrie de la technique et le culte de la vitalité il faille, pour la droite, choisir urgemment. Il lui faudra pour cela sortir d’un simple conservatisme qui l’incite à conserver la société telle qu’elle est dans sa structure industrielle, de capitalisme sans limite, et d’outrance technologique, pour rentrer dans une authentique “Réaction” qui remette en cause les fondement d’une modernité malade qui détruit le désir d’enfant en ruinant le lien social. Mais si cette Réaction voit enfin le jour, elle devra repenser intégralement notre façon de vivre donc de consommer et de produire, c’est à dire revoir intégralement sa définition précaire de l’homme en ne le réduisant sous aucun prétexte à un mammifère fonctionnel n’ayant cure que de sa seule conservation, mais comme un être libre , intelligent et sensible, qui ne peut vivre sans un Sens qui le guide et l’exhausse, sinon à être l’esclave en puissance de ses propres lâchetés.
Au delà des très lourdes problématiques économiques, du découragement idéologique et culturel qui incite à abandonner l’idée de maternité, de l’individualisme sans vergogne qui dévitalise le monde, et toutes les grandes thématiques glanées et rassemblées dans l’article de mon camarade Thomas Selvini, il importe aussi, afin d’atteindre le nerf du grand corps de nos société, de ne jamais négliger la question du lien social.
Sauver la natalité suppose de sauver l’homme, de s’y évertuer avec attention et audace, de préserver ces instincts sains qui nous poussent à embellir le monde en y faisant éclore une nouvelle existence , et tout cela implique d’oeuvrer jour après jour à maintenir les liens qui créent la Vie.
Luciani Ghjuvan Francescu