Lettera Palatina #1 – Les élections et l’hégémonie

Cela fait un certain temps que je n’ai pu me consacrer à ce qui me passionne en vérité : la production doctrinale. C’est pourtant sur cela que repose le palatinisme et son essor fulgurant dans le débat corse en moins de trois ans. L’animation du parti qui promeut nos thèses devant les électeurs m’a particulièrement occupé depuis un an. La politicaille également. Ce n’est pas ce qui me sied le plus, je ne te le cache pas. Il y a dans tout ceci une infinie médiocrité. Elle n’en est pas moins indispensable. Aussi, voici une toute nouvelle production que j’ai décidé de t’envoyer progressivement tout en m’efforçant de terminer le manuscrit du deuxième livre que je souhaite publier pour l’année prochaine. Je tenais pour commencer à te parler d’une chose somme toute importante en cette période de pré-municipales. Beaucoup d’entre nous s’agitent. Autour de nous aussi. Toute la Corse s’agite en réalité. Des gens s’approchent de nous avec quelque idée intéressée en tête. D’autres quittent nos rangs pour ne pas déplaire localement à des amis à qui ils doivent un certain nombre de choses. D’autres encore spéculent sur nos positionnements et sur notre stratégie. Ecarte tout ceci un instant. Laisse Mossa Palatina où elle est et rappelle-toi le sens de toute notre action depuis la création de Palatinu.

Veille à lire Les cahiers de prison d’Antonio Gramsci. Je t’en ai déjà parlé. Je t’en parlerai souvent. Les théoriciens marxistes ont cherché à comprendre les mécanismes de la société pour mieux s’en servir. Tu verras ces références revenir fréquemment dans les écrits que je te fais parvenir. J’ai déjà rédigé quelque chose pour le Cunsigliu, en interne, au sujet du Que faire ? de Lénine. Il y a dans tout ceci de grands trésors conceptuels qui t’aideront à te battre. Nous disons, notre objectif : l’hégémonie culturelle. Notre stratégie en ce sens ? La guerre de position. C’est-à-dire l’imposition dans le champ de l’expression publique de nos mots, de notre imaginaire, de nos valeurs, de nos considérations, de nos débats, de notre définition du nationalisme corse. Conçois les pensées humaines sur notre île comme ce qu’elles sont partout ailleurs : un champ de bataille incessant et perpétuel. Nous devons investir sur ce champ de bataille une quantité toujours plus importante de notre propre contenu idéologique : ce sont nos troupes. Les actions et les prises de position publiques ? Nos charges. Ainsi, peu importe en vérité ceux qui règnent, ils devront s’exprimer et se positionner en fonction de l’état des lignes de bataille que nous aurons nous-mêmes définies et composées par le combat culturel. Comment ? Par la diffusion. Le texte rédigé. La vidéo publiée. La conférence tenue. La polémique que l’on provoque. La diffusion, c’est la troupe qui donne l’assaut. C’est la tranchée supplémentaire que l’on prend. C’est le mot que l’on insère dans les têtes. C’est l’idée que l’on rend acceptable voire souhaitable en la martelant publiquement et en élargissant toujours plus la fenêtre d’Overtone. C’est notre capacité à modifier en profondeur la composition des rapports de force et des représentations en avançant la ligne de combat de plusieurs lieues en avant.

Partout où l’on parle de Palatinu, c’est une victoire acquise. Un détracteur ? C’est un publicitaire. Un tag insultant en bord de route ? Une affiche de propagande. Un fake obsessionnel qui vise nos cadres ? Un relais de popularité. Qu’on parle de nous, on parle indirectement de ce que nous disons et de ce que nous défendons. C’est ce qu’il se passe en Corse depuis près de trois ans désormais. Les résultats déjà palpables de tout ceci ? Plus personne dans l’autonomisme n’ose décemment défendre le concept fumeux de communauté de destin. Femu a Corsica s’est même risqué à produire un communiqué sur « l’excédent migratoire » il y a quelques semaines. Inédit. Eux qui défendaient encore il y a quelques mois l’association SOS Méditerranée. D’aucuns se souviennent du débat qui m’a opposé cet hiver à Hyacinthe Vanni, membre éminent de Femu a Corsica et vice-président de l’Assemblée de Corse, qui osait me dire sur les ondes de RCFM : « Le problème de la Corse ce ne sont pas les immigrés, parce qu’il y en a zéro. » Nous savons les vifs reproches qui lui ont été formulés en interne à ce sujet. Je peux faire le même constat en ce qui concerne le PNC qui évoque publiquement la nécessité de s’emparer des sujets tels que l’immigration ou l’insécurité, même s’il justifie ceci par le nécessaire et dépassé “barrage à l’extrême-droite”. Core in Fronte y est allé de bon coeur également par la voix de son leader Paul-Félix Benedetti il y a peu au musée de Bastia en disant publiquement que la Corse ne serait bientôt plus peuplée que par des “Nord-Africains, des Français, des Portugais”. Nous changeons de monde. Tous ces partis politiques qui adaptent leur discours par rapport à notre émergence ne font que préparer la facilitation de notre démarche.

Tu comprends bien, dans cette optique, le rôle à la fois dérisoire et essentiel de l’activité électorale. Dérisoire car secondaire en sa qualité de moyen et non de fin. Un outil, pas un but. Essentiel pour la même raison. Car par cet outil se déroule un grand moment d’éducation populaire. L’attention de l’opinion publique exacerbée par la fièvre des campagnes électorales est un réceptacle formidable pour le discours que nous promouvons. Les élections sont donc un moyen de diffusion qui nous suffit pour ce qu’il est, que l’issue nous soit ou non favorable arithmétiquement parlant. Mais pas seulement. C’est aussi l’occasion de monétiser électoralement notre ligne politique en lui donnant un potentiel de nuisance, c’est-à-dire l’avantage de pouvoir dire : « Nous représentons tant de voix et nous les utiliserons contre un tel ou en faveur d’un tel en fonction de son discours. » Je te rappelle que nous avons réalisé 4,2% des voix dans la première circonscription de Haute-Corse. Dans la circonscription voisine, Jean-Félix Acquaviva, contre lequel nous avons appelé à voter en raison de tous ses positionnements favorables à LFI, a perdu son siège justement de quelques pourcents. Dans le même temps, nous sommes à 4,5 sur Aiacciu même. 4,8 à Bastia. 5,2 à Portivechju. Nous sommes donc déjà devenus la variable d’ajustement que j’évoquais dans un entretien pour Corse-Matin au début de l’année dernière. Apprends donc à considérer bien plus la diffusion maximale de nos idées malgré un score faible plutôt qu’un score élevé qui serait obtenu au détriment de notre doctrine. Chaque élection est une bataille de plus. Il nous faudra persévérer, bataille après bataille. Election après élection. De défaites en défaites jusqu’à la victoire. La priorité n’est ni le moment ni l’instant mais la perspective finale et le long terme sur cette grande plaine du combat de tous les jours pour l’hégémonie culturelle.

Appréhende en ce sens l’importance que nous devons donner à cette tâche. Tu comprendras aussi la nécessité absolue de ne pas en oublier le caractère secondaire. Aussi, travaillons à être les plus efficaces en la matière sans pour autant penser que tout se réduit à cela.

Nicolas Battini, Montesoru, 4 juin 2025.

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