Palatinu

Le saccage de Sartè

Chers amis, chers lecteurs, quelques informations à propos de la mise à sac de Sartè du 25 au 26 mai 1583, il y 439 ans jour pour jour. L'un de nos fidèles contributeurs, Antò-Marcu Galloni d'Istria, ostéopathe sartenais, dont la famille s'enracine dans la région concernée depuis plusieurs siècles, a tenu à nous faire parvenir un certain nombre de notes relatives au déroulé de la razzia de la ville, une parmi de fort nombreuses incursions barbaresques qui poussent la Corse à se doter d'une chaîne de tours de guet construite tout le long de son littoral : les fameuses et si mal nommées tours génoises. Mal nommées en effet, en ce que toutes furent des réalisations financées et défendues par les populations autochtones, aussi serons nous amenés à établir notre propre vocable en la matière, y préférant le terme de "tours corses d'époque génoise".

Pour celles et ceux qu'intéresse cet épisode tout à fait emblématique d'une longue période durant laquelle la Corse est exposée aux raids musulmans, qui débute aux alentours de la chute de Constantinople (1453) pour ne se terminer totalement qu'à la prise d'Alger par le Royaume de France (1830), nous avons décidé de retranscrire les notes telles qu'elles nous sont parvenues.

 • Date : nuit du mercredi 25 jeudi au 26 Mai 1583 (2h avant le lever du soleil*)

• Protagonistes :

- Hassen Veneziano : né à Venise (date de naissance inconnue) et mort en 1587, Hassen Veneziano est un renégat vénitien. Il est tout d’abord esclave de grands amiraux et chefs de guerre sous l’empire Ottoman où il a pu apprendre l’art de la guerre et est devenu un marin expérimenté. Par la suite, il est nommé gouverneur d’Alger de 1577 à 1580 (où la guerre civile, à la suite de ses décisions, met fin à son « règne »). Enfin, il parvient à reprendre les rênes de la ville entre 1582 et 1587.  

Il a été également le commandant du contingent ottoman, mêlant des soldats turcs, algériens et de janissaires (ordre militaire très puissant composé d’esclaves d’origine européenne). Cette armée a d’ailleurs participé au sac de Sartè.

- Mami Corso : à l'origine Philippo de Pino né en 1555 à Pino. Il a été kidnappé par les Maures et est devenu un pirate barbaresque algérien et renégat corse. Soldat ottoman, sous le commandement de Hassen Veneziano, il débarque deux mois avant le sac de Sartè, pour préparer l’assaut.

- Podestat Andrea Ciccanese : gouverneur de la ville de Sartè en 1583. Il est capturé avec une partie de la population et est réduit au rang d’esclave en Afrique.

- Curé Vincinguerra : prêtre de la cité, il s’échappe avec une quarantaine de personnes avant le début de l’attaque pour se réfugier dans la tour de Michel de Pietro.

- Andrea Androvandi : Nouveau Podestat génois, nommé peu après le sac de Sartè pour reconstruire et repeupler la cité.

• Situation géopolitique : À la fin du Xe siècle, la Corse et la Sardaigne sont des objets de convoitise pour la République de Gênes et de Pise, qui en chassent les Maures.

En effet, la Corse apparaît comme un point stratégique à l’échelle du bassin méditerranéen tant sur le plan militaire qu’économique. Par ailleurs, de nombreuses razzias ont lieu en Corse, notamment menées par des renégats corses comme Mami Corso ou Hassen Corso.

• Sartè : petite cité pauvre de 593 habitants (14 issus de la colonies génoises, 42 non répertoriés et 537 habitants). Elle est gouvernée par l’administration génoise avec à sa tête le podestat Ciccanese. Les fortifications de la ville sont quasi inexistantes et se concentrent principalement autour du quartier du Pitraghju avec pour entrer principale, l’actuelle Piazza Porta.
• Déroulement des faits :

Le 1er mai 1583, une flotte composée d’une vingtaine de navires avance au départ d’Alger vers la Corse avec à son bord près de 2000 soldats (1500 arquebusiers ou mousquetaires et 300 archers) et armes de siège (échelles et canon).

Cette flotte est dirigée par Hassen Veneziano en personne, gouverneur en chef de la ville d’Alger, secondé par Mami Corso. Le trajet fut long car la route prise fut choisie pour éviter d’être vu.

La flotte longe les côtes du Nord-Ouest de la Sardaigne, puis passe devant l’île de l’Asinara, le 24 mai, et évite de passer devant Bunifaziu, pour accoster sur la plage de Senetosa, le 25 mai.

L’armée, guidée par Mami Corso, débarqué deux mois auparavant pour préparer l’attaque, passe près de Giunchettu et redescend sur le versant sud de la vallée de Fiumicicoli pour arriver par Bocca Albitrina dans la plus grande discrétion.

Cette dernière se prépare à l’assaut sur la zone de Saint-Damien, des éclaireurs ont été toutefois aperçus par les vigiles qui donnèrent l’alerte. Il faisait nuit, (2h avant le levé du soleil) l’effet de surprise fut à son comble.

Une petite quarantaine de personnes, qui suivait le prêtre Vinciguerra, a pu s’échapper et se réfugier dans une tour aux alentours de la ville, propriété de « Michel de Pietro ».

Les troupes d’Hassen Veneziano se positionnent autour de la ville, canons en direction de la porte et échelles sur les murailles.

La cité n’est alors défendue que par une petite dizaine d’hommes et de femmes, menée par le Podestat Ciccanese et armée de couteaux et de seulement 6 arquebuses. Ils défendent héroïquement la ville avec l’énergie du désespoir mais ne résistent pas aux 2000 soldats algériens.

Enfin dans la ville, ils désarment les défenseurs et les réunissent sur la place principale. Mami Corso donne alors l’ordre de saccager la ville et le palais du gouverneur, voler les maisons, profaner l’église et brûler le presbytère, à partir duquel les flammes se propagent pour atteindre les maisons aux alentours.

Sur 593 personnes qui peuplaient la cité, 420 personnes ont été faites prisonnières.

On les conduit le long du Rizzanesi pour arriver à Tavaria où les bateaux Algériens les attendent. Commencent alors des transactions pour racheter la liberté des prisonniers mais un faible nombre fut relâché. Au total 357 sartenais ont été envoyés en Afrique dont 149 hommes, 207 femmes et près de 175 enfants.

• L’après : La cité de Sartè est meurtrie. Le gouvernement Génois envoie Andrea Androvandi comme Podestat. Il a comme mission de ramener le calme, repeupler la cité et organiser les défenses.

Pour repeupler la ville, il se tourne vers les campagnes qui environnent la cité, où il réquisitionne hommes (bergers pour la plupart), femmes et enfants et les loge dans les maisons laissées à l’abandon.

Il instaure des tours de garde pour éviter toute nouvelle attaque barbaresque. Ces tours de gardes s’organisent autour de 7 équipes composées de 14 hommes âgés de plus de 14 ans.

Il fait enfin réparer la porte de la cité, fortifier les murs, construire un nouveau palais public, augmente le nombre d’arquebuses et fait garder désormais la cité par une garnison de 15 soldats.

Sources : « SACCHEGGIO DI SARTÈ NEL 1583 », Gianni de Moro, bulletin de la sociéré des sciences historiques et naturelles de Corse ; revue trimestrielle fascicule n652 CVI année-1,2,3 4 trimestre 1987.

3 Comments

  • Russu Françoise

    Très instructif, je ne connaissais pas l’histoire de Sartene,ville de mon enfance, que j’adore,merci

  • Marie-Blanche

    C’est vraiment très intéressant l’histoire de notre village , triste émouvant mais il ne faut savoir et ne jamais oublier d’où l’on vient merci pour ce récit

    • A Squadra

      Merci pour votre commentaire, nous ferons en sorte d’être présents durant l’année qui vient à Sartène autour de ce thème. À prestu !

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