Palatinu

La mort de Romanetti

Nous sommes en 1926. La Corse entière ne parle plus que d'une seule chose : la mort du bandit Nonce Romanetti. Ce dernier voit le jour le 25 Juillet 1882 à Calcatoghju, sur les terres de Cinarca. Très tôt condamné pour avoir donné un coup de stylet, condamné de nouveau, puis condamné une fois encore pour vol, Romanetti abat l'homme qui le dénonce pour son troisième forfait. Bandit, il mène durant quinze ans une véritable vie de notable célèbre et adulé par une partie de la société insulaire, fréquentant les bonnes tables et les beaux hôtels, allant même jusqu'à recevoir Abel Gance après avoir vu son nom figurer à l'affiche du film Le Roi du Maquis de Gennaro Dini. Abattu à l'âge de 43, sa mort provoque un séisme dans l'actualité corse d'alors. Voici un texte de Maistrale, le grand poète Dominique-Antoine Versini. Né à Marignana le 25 décembre 1872, Dumenicantone Versini est un défenseur ardent de la cause corse, de sa langue et de l'autonomie de l'île, qui s'inscrit dans le courant régionaliste organisé autour de Frédéric Mistral auquel il se réfère d'ailleurs explicitement à travers le nom d'artiste de "Maistrale". Versini, alors contributeur du journal A Muvra, décrit les évènements autour de la mort du bandit Romanetti dans le texte traduit que nous vous présentons. 

Le 25 avril, à une heure et demi du matin, a été tué Nonce Romanetti, à Lava vers la pointe de Pefani.

Voici quelque détail de cet assaut : à une heure après minuit, le bandit, sautant nu sur son cheval rouge, prenait la direction d’une grotte seulement connue par lui-même et ses plus proches amis.

À une heure et demi, de la casetta de Lava, on entendit une salve de tirs.

À cinq heures, voici le cheval qui retourne seul à la bergerie.

À sept heures et demi, une autre fusillade ; galop de la gendarmerie : Romanetti était mort !

Le coup fut tiré par derrière, à coup de chevrotines qui lui lacérèrent le cœur ; le bandit n’avait pas vu venir la mort !

Il y avait deux chiens après : un braque qui a été tué près du patron ; et une chienne, Zinette, qui a disparu.

Le bandit avait une sacoche pleine de pain, de saucisse, de cartouche ainsi qu’une carabine fissurée par les balles.

Il avait également sur lui et que l’on n’a par la suite plus trouvé : un stylet, des jumelles, un revolver F N et un portefeuille avec 7000 francs.

La nouvelle de la mort de Romanetti s’est répandue en Corse comme une traînée de poudre ; de bouche à oreille à Ajaccio, voici toutes les automobiles en route vers Lava : trente voitures et deux cent personnes à travers le maquis.

Le mort fut descendu à Ajaccio à l’hôpital, dimanche soir.

Lundi à deux heures, il y eut l’enterrement ; de l’hôpital à Calcatoghju.

Tout Ajaccio était présent ; la population était venue de tous les villages ; le cercueil porté au bras jusqu’à la Barriera ; roses et fleurs autour ; quarante automobiles qui l’ont accompagné jusqu’à Calcatoghju.

Sur les routes, toutes les femmes en pleurs, les auberges en deuil.

À Calcatoghju, tout le village attendait à la croix : la femme, la belle-mère, toutes les femmes criaient ; une vieille qui se griffait toute la figure ; les cousins, les guides, les amis chers, son cher fils, des collégiens de douze ans ; même le soleil s’était couvert de deuil ; il semblait que le maquis pleurât ; il y avait six gendarmes, peut-être pour le tuer une troisième fois.

Même pas un prêtre ni une cloche : le fossé dans un champs entouré de verdure. À quatre heures tout était fini.

Romanetti était né en 1882 ; il avait pris le maquis en 1913 pour avoir tué un certain Carbuccia pour une affaire de bœufs.

Ensuite, il avait tué Pierre Carli et un gendarme.

Il avait été trois fois condamné à mort.

La vie et la mort de Romanetti sont des choses corses : Celui qui n’est pas Corse ne peut les comprendre.

Maistrale.

A Muvra, n°251, Dimanche 2 mai 1926.

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