Palatinu

A Madonnuccia : La Maman des Ajacciens

Posuerunt me Custodem, c’est en témoignage de reconnaissance que les habitants d’Aiacciu firent graver en 1747 sous la statue nouvellement érigée ces paroles : Ils m’ont placée comme gardienne.
Lorsque j’étais plus jeune, les vieilles du Borgu (actuelle rue Fesch), qui observaient les passants et commentaient à voix basse ce qu’elles pensaient de ces derniers, n’auraient raté sous aucun prétexte la fête du 18 mars. Les mauvaises langues diront que ce ne fut que par superstition, par réflexe social, et bien je répondrai à ces esprits chagrins que ce n’était que pour une chose : Notre petite Marie chérie, A "Madonnuccia" par l'ufficiali, A Madunnuccia pà u populu, a noscia Madunnuccia.
Car il n’y a pas fête plus ajaccienne que A Madunnuccia. Tout habitant d’Aiacciu a déjà prononcé son nom, elle est la figure qui unit tout le peuple de la cité, plus même que l’Empereur, occupant pourtant largement l’esprit de tous les citadins. C’est parce qu’elle est plus discrète, ou parce qu’elle occupe la partie intime du cœur de ses sujets.
Dans cet article je tâcherai de lui rendre hommage, en même temps que je rendrai hommage à ma très chère ville : Aiacciu.

Tout commence à Savone, non loin de Gênes, le 18 mars 1536. Tonio Botta, fervent catholique et jardinier de profession, marchait en priant. Il faisait chaud, trop chaud, il décida de s’arrêter près d’une rivière pour y boire et se rafraîchir. Tout à coup, il fut ébloui par une lumière immense et une voix de femme lui dit : « Tonio, lève-toi, n’aies pas peur, regarde, je suis la Vierge Marie, n’en doute pas ! »

C’est à partir de cette date que la Mère de Miséricorde devint patronne de Savone. Il fallut néanmoins attendre 1557 pour que les autorités autorisassent son culte.

Environ un siècle plus tard, vers 1640, Ghjuvan Petru Orto, un capitaine marin-caboteur de la future cité impériale, se rend à Savone où il achète pour presque rien une statuette en plâtre de Notre Dame de la Miséricorde. Ce n’était pas une grande statue, ni même la plus fine des productions artistiques, c’était une petite Madonna comme on en faisait beaucoup dans le nord de l’Italie. Notre capitaine, fils du Magnifique Ancien Filippu, plaça la sculpture dans une niche au-dessus de la porte de sa maison à Candia. Orto était un homme pieux, il savait que sa statuette ne valait rien, ce qui ne l’empêchait pas de passer de longs moments à contempler la petite Madonna, sa petite Madonna, a so Madunnuccia.

L’Aiaccinu est belliqueux, il suffit pour s’en rendre compte de suivre une rencontre de foot opposant les deux clubs de la ville pour s’en apercevoir. Ce caractère est déjà présent au XVIIème siècle, c’est du moins ce que raconte l’histoire qui va suivre.

Peu après l’installation de la statuette, des ouvriers agricoles, qui travaillaient à Candia, se disputèrent. La dispute se transforma rapidement en bagarre générale, les stylets furent sortis de leurs fourreaux et un sanglant affrontement commença. Soudain, une voix de femme se fit entendre, elle disait « Basta ! Misericordia ! Misericordia ! ». Cette voix émanait de la petite statue d’Orto : A Madunnuccia. Les jardiniers enragés cessèrent aussitôt a baruffa, s’agenouillèrent et se mirent à prier. Le message, si fort, résonna dans toute la région d’Aiacciu et tous les ajacciens, comme grondés par leur maman, se tournèrent en direction de la Vierge.

Après ce miracle, Ghjuvan Petru, commanda une grande et belle statue de la Vierge, devant elle, à ses pieds, il y aurait deux statuettes de moindre taille : Tonio Botta et lui-même. En 1645, la statue arriva de Gênes sur les côtes ajacciennes devant les yeux emplis de larmes du capitaine et de la foule en liesse. Orto choisi instinctivement de la mettre dans une chapelle, construite préalablement sur son terrain de Candia. Son frère, Filippu, père jésuite, en informa son supérieur : le révérend Gio Gregorio Mortali, recteur du collège des jésuites. Les deux hommes d’églises n’étaient pas de l’avis de Ghjuvan Petru, en effet, Aiacciu en ces temps-là, était la proie des pirates barbaresques venus du Maghreb. Ces derniers, pillaient tout sur leur passage sans se soucier du caractère sacré des objets liés à la foi Catholique, ils pillaient, profanaient brûlaient tout sur leur passage. Bien souvent, ils réduisaient les hommes et les femmes corses en esclavage. Les deux hommes d’églises pensèrent à un lieu plus sûr, dans l’enceinte de la cità, protégée par les murs, la statue serait à l’abri. Ainsi, ils allèrent trouver le capitaine et lui délivrèrent leurs arguments. Orto leur donna raison.

C’est donc dans a cità, entre les murs de la ville fortifiée, que la statue sera gardée, dans l’église Saint Ignace (actuelle église Saint Erasme). Les pirates d’Alger, de Tunis ou de Tripoli seront sans doute moins tentés si les trésors qu’ils cherchent sont protégés par des hommes armés et une épaisse muraille.

Depuis le VIème siècle, la peste ravage aléatoirement le monde. L’Europe et la méditerranée occidentale ne sont pas épargnés. Aiacciu, et son port accueillant de nombreux navires venant des quatre coins des mers, n’avait aucune raison d’être épargné. Pourtant il en fut autrement, Aiacciu se releva et ce malgré les attaques de barbaresques venus d’Afrique du Nord dont on dit que les bateaux étaient très souvent infestés par la maladie. Un jour de 1656, un bateau génois débarqua à Aiacciu, terriblement contaminé il transmit la maladie à tout le quartier du Borgo (l’extérieur des murs). Le spectacle était terrifiant, les gens mourraient ou suffoquaient dans les rues de la ville, d’autres agonisaient de longues heures avant de trouver la mort. Les médecins de l’époque déclarèrent forfait, ils ne se sentaient pas en sécurité dans leur horrible tenue inventée par Charles Delorme en 1619 pour satisfaire le roi Louis XIII. Seuls deux capucins bravaient encore la terrible contagion et donnaient les derniers sacrements aux mourants. Le jeune frère Anghjulu, 22 ans, était un de ceux-là, il s’effondra sur les marches de l’église alors qu’il donnait la communion aux malades.

Le capitaine Orto, encore vivant lors de cette tragédie, se précipita dans l’église Saint-Ignace où se trouvait a so cara Madunnuccia. C’est elle qui avait permis le miracle de Candia, c’est elle qui saurait protéger ses enfants de la maladie se dit-il. Suivit par une foule pieuse en direction de la statue, Ghjuvan Petru et les ajacciens furent alors témoin d’un nouveau miracle. Les Magnifiques Anciens (sorte de conseillers municipaux de l’époque) jurèrent solennellement sur les évangiles que Notre Dame de la Miséricorde serait dès à présent la protectrice, patronne et avocate d’Aiacciu. Cette décision fut officialisée le 15 novembre 1656 par le chancelier Ghjuvan Battistu Scaffa (le document est toujours conservé aux archives communales). Cet article stipule que Nostra Signora della Misericordia serait désormais fêtée chaque année le 18 mars, le jour où elle apparut à Tonio Botta à Savone en 1536. Le jour serait chômé pour que tous les ajacciens puissent assister à la messe et à la procession de la Très Sainte Vierge. Une fois l’acte ratifié, la peste disparue complétement du Borgo et épargna ainsi la cità. C’est ainsi que depuis le 15 novembre 1656, à Aiacciu, A Madunnuccia est célébrée par tous les ajacciens. Il ne s’agit donc pas d’un simple jour de vacances, mais aussi et surtout, le jour où les habitants de la cité impériale rendent hommage à leur maman : A Madunnuccia.

Pour conclure cet article que j’ai pris plaisir à écrire, je souhaite diriger tous les Ajacciens (è quiddi chì sani chì Aiacciu hè a più bedda cità di Cirnu) désireux de connaître l’histoire complète de A Madunnuccia vers l’ouvrage très documenté et très plaisant à lire de France Sampieri : A Madunnuccia, Protectrice de la Cité Impériale aux éditions Albiana. C’est notamment la lecture de cet ouvrage qui m’a donné envie de raconter les origines de cette célébration si chère aux ajacciens. Vous découvrirez dans cet ouvrage de nombreuses anecdotes concernant Aiacciu et notamment l’incapacité de la Troisième République à « extirper le bonapartisme et la religion de la cité natale de Napoléon ». De même, comment un préfet de 1894, trop enclin à fustiger l’admiration des ajacciens pour leur Madunnuccia, fut obligé de se terrer dans sa préfecture afin d’éviter les cazzotti des habitants énervés : L’Aiaccini sont belliqueux…

Paul Marchione

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