Palatinu

Les lieux, l’amour et le salut

-	Parlanu di noi aio, c’est droit. 
Dans le local de Palatinu, situé tout au bout de la rue Emile Sari à Bastia, six militants s’activaient au milieu des colonnes de papiers en tout genre, des dizaines de lettres à envoyer, des multiples dossiers de comptabilité et de reçus fiscaux. Philippe, un jeune natio dégoûté d’à peu près toutes les structures autonomistes qu’il avait écumées et quittées de dégoût à force d’y entendre plus parler de théorie du genre et d’autres conneries de gauche pinzuta que de peuple corse et d'identité, triait soigneusement les dernières factures tandis que Ghjuvan Petru s’affairait à établir la moyenne d’âge des quatre-vingt adhérents bastiais. Sophie, tout à son travail de secrétaire, renvoyait aux différents responsables de secteurs les vingt nouveaux membres qui venaient d’adhérer depuis le lancement de la campagne d’adhésion la veille au soir tandis que Serena sélectionnait une par une les cartes d’adhérents à envoyer. 
La campagne battait son plein, les quatre cents Palatini étant presque atteints, dont la moitié devait être organisée entre Bastia et Ajaccio. Interpellant Mathieu, le responsable de secteur, Jean-Do brandissait sous son nez un imprimé. 
-	Mais oui, ils parlent de nous. Lis, sur ce site-là. Je te l’ai sorti.
-	Quel site ? 
-	Je sais plus, Robba di qualcosa.
-	Robba di chè ? 
-	Robba di bobos.
-	Ah, Robba di bobos ? È chì dicenu ?
-	Regarde.
-	Bon et alors, on a autre chose à foutre. Chì n’aghju da fà eiu ? 
-	Bon, allez basta. Avà leghji. 
Mathieu posa les yeux sur la source de tant d’agitation. C’est quoi ce truc ? 
« Je ne veux pas d'un nationalisme qui : 
Soit massivement masculin 
Soit raciste, xénophobe 
Ne me parle pas de lutte des classes 
Ne me parle pas (plus) d'écologie 
Ne me parle pas de féminisme 
Ne me parle pas des autres espèces vivantes. » 
Tout ce que le local comptait d’activité s’interrompit. Un grand éclat de rire secoua la pièce.
-	C’est quoi ce tract de vieux boomer soixante-huitard ? 
-	C’est pas un boomer, elle semble même jeune celle qui l’a écrit.
-	Oui, bon peut-être. Les jeunes de gauches sont tous des vieux ringards. Ils parlent de nationalisme, c’est pas fait pour eux. Ils se font trop de mal. 
-	Qu’est-ce que tu veux ? On doit être le seul pays au monde où même les disciples du grand Melting Pot et de Parent 1/ Parent 2 veulent être appelés nationalistes. Ùn vedi micca, simu un paese di scemi. La pauvre fille, elle veut le programme de Mélenchon et tamponner « natio » dessus. Qu’est-ce qu’ils auront avec le mot de « natio », à vouloir se l’accaparer pour faire passer leur pilule inclusive et transgenre ? Serà pussibile. Leur lutte des classes, leur lutte des sexes, ou des genres on ne sait plus trop, leur blabla d’écolos ch’ùn hanu mai postu un pomu o zappatu un ortu, leur haine du masculin et toutes les carences affectives que ça cache, mais qu’est-ce qu’on en a à foutre en vrai ? On disparaît putain, on disparaît. On nous fout dehors, pas moyen de s’acheter un terrain, des milliers de Corses vivent dans un HLM en état de minorité ethnique, entre un supermarché, une villa construite par des boomers pinzuti macroniens et une mosquée toute neuve, avec trois cents euros de budget d’essence, un loyer à huit cents euros et le reste en crédit pour payer le cateru qui leur sert de voiture. Parli corsu passi pè una closcia, tu es chrétien on te traite de xénophobe ou de je ne sais quoi, ghjunghjenu quì i figlioli di tutte e mamme facenu cinque figlioli è noi pochi è micca. Dans le peu de temps libre qu’il nous reste pour penser nos pauvres existences de membre d’une civilisation en chute libre, la case « Ecouter les punks à chien aux cheveux sales pleins de joints et de piercings dégueulasses nous parler sur un ton professoral et moralisateur de leurs soucis de bourgeois révoltés en quête de sens » est pas trop pertinente, faut l’avouer. 
Tous les militants présents avaient interrompu leurs différentes tâches. 
-	31 ans, dit Ghjuvan Petru.
-	Quoi ? 
-	La moyenne d’âge de nos quatre-vingt adhérents sur Bastia, 31 ans.
-	Il faut recompter, on est quatre-vingt-douze sur le secteur maintenant, rajouta Sophie. Presque quatre cents pour toute la Corse.
-       Les garçons. N'oubliez pas le gros évènement de Mai, il y aura encore pas mal de monde avec les médias. On doit être à la hauteur, rappela Serena de derrière son bureau.
-	Et pour l’article qui nous évoque sans nous nommer, on produit une réponse quand même ? On en parle au Président, à la Rédaction ? demanda Jean-Do, suspendu aux lèvres de Mathieu.
Le responsable bastiais marqua un temps d’arrêt.
- O Jean-Do, franchement. On a autre chose à foutre.

Zù Carlinu

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